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Ici se place une lettre étrange, que nous citerons tout entière. Voulant donner à son mari une preuve de tendresse, la duchesse de Bourgogne avait chargé Mme de Montgon de lui écrire une lettre dont les caractères étaient tracés avec son propre sang, en guise d’encre. Le duc de Bourgogne reçoit cette lettre avec transport et il y répond :


Au camp de Salmbach, le 3 juillet 1703.

Je ne puis tarder un seul moment à vous faire réponse et bien loin d’avoir eu mal au cœur du sang adorable que j’ay receu, je l’ai baisé mille fois et le baiserai encore plusieurs fois aujourd’hui. Je viens de m’en tirer dans le moment pour en envoyer aussi du mien, et donnez-le-luy s’il n’est pas indigne d’elle et si elle dit qu’elle le verseroit, mon (un mot illisible) déjà commencé à en verser un peu pour elle pour qui assurément il ne m’en resteroit rien. Mais nous devons le conserver l’un pour l’autre et unir nos cœurs ainsy que le paroissent ceux qui sont désignés avec mon propre sang tiré d’un des doits de ma main gauche par mon couteau sur le champ. Cette lettre, outre le petit dessein, est toute barbouillée du sang que l’amour m’a fait verser sur le champ, trop heureux de l’avoir répandu pour elle. Cette vue m’a fait revenir de l’esprit et au lieu qu’il étoit revêche il est poétique et enflammé.


Quoy donc ! voila le sang qui colore ses joues,
C’est luy qui la fait vivre et qui jusqu’en ses yeux
Met le feu qui me rend amant et bienheureux,
Qui dans trois mois au plus fera tourner mes roues,
Gardez le donc ce sang, ce thrésor précieux,
Pour vous le mien est prest à couler dans ces lieux,
Car, en cherchant icy la gloire,
C’est votre cœur dont je veux la victoire.


Vous me promettez bien que vous irez luy porter cette lettre dès que vous l’aurez reçue. Tâchez que ce soit en particulier. Mettez-vous à genoux devant elle et, luy baisant les deux mains de ma part, présentez-luy le sang versé pour elle uniquement. Je ne sçai si vous ne vous serez point doutter de ma folie ; mais puis-je assez marquer à cette reine combien je l’aime, quoiqu’elle le sache déjà bien. Mandez-moy comment elle aura receu ma commission et ses propres paroles, et demandez-luy alors si elle ne m’aime pas de tout son cœur et comme je le mérite. Adieu, ma chère Mongon. S’il me vient encore quelque extravagance dans l’esprit entreicy et ce soir que part la poste, je l’ajouterai à cette lettre.


À six heures du soir.

Plus j’y pense et plus je trouve l’imagination agréable d’avoir écrit avec le propre sang de la personne aimée. Mais j’y eusse voulu les