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Le conseil était bon. Instruit par l’expérience, le duc de Bourgogne devait plus tard s’y conformer et il était en train de se corriger lui-même sur ce point, comme il s’était corrigé sur d’autres, quand la mort l’enleva. Mais, durant ces années qui nous occupent, il faut reconnaître que les préventions soulevées par son attitude n’étaient pas sans fondement et qu’il apportait dans les meilleures choses un peu d’excès et beaucoup de gaucherie.


III

De cette dévotion outrée, des inconvéniens qu’elle entraînait avec elle, des fautes qu’elle fit commettre au duc de Bourgogne, qui faut-il rendre responsable? Les adversaires de Fénelon se sont plu à l’en accuser. Rien n’est plus injuste. La lecture de sa correspondance avec le duc de Bourgogne suffit à le montrer. Notons d’abord que pendant quatre ans tout commerce avait été interrompu entre eux. Ces quatre années, de 1697 à 1701, sont précisément celles où le duc de Bourgogne débuta véritablement dans la vie, et où qualités et défauts de sa nature commencèrent à s’accentuer. Durant ces années, Fénelon ne put exercer quelque influence sur lui que par l’intermédiaire de Beauvillier. On sent dans les lettres qu’il adresse à ce dernier l’inquiétude qu’a laissée dans son âme de prêtre et de précepteur le sentiment de cette éducation morale inachevée. « J’aime toujours M. le duc de Bourgogne, lui écrit-il, nonobstant ses défauts les plus choquans. Je vous conjure de ne jamais vous relâcher dans votre amitié pour lui… Que ce soit une amitié crucifiante et de pure foi. C’est à vous de l’enfanter avec douleur jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en lui… C’est une Providence que son cœur ne se tourne point vers ceux qui auraient tenté d’y trouver de quoi vous perdre. Qu’il ne vous échappe pas, au nom de Dieu. S’il faisoit quelque grande faute, qu’il sente d’abord en vous un cœur ouvert, comme un port dans le naufrage[1]. »

Deux ans après, c’est-à-dire en décembre 1701, le duc de Bourgogne lui écrit pour la première fois, et, dès cette première lettre qu’il lui fait parvenir par une voie détournée, on le voit apparaître, tel que nous venons de le peindre, résigné à tout et scrupuleux sur tout : « Il faut s’en remettre à la volonté de Dieu

  1. Œuvres complètes de Fénelon, édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 220.