Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à l’époque de sa vie où nous en sommes, cette disposition exagérée au scrupule avait un autre inconvénient : c’était que, pour fuir les tentations dont il se croyait environné et auxquelles il avait toujours la crainte de succomber, il se réfugiait de plus en plus dans une vie recluse et solitaire. Quand il était enfermé dans son cabinet, il se sentait du moins à l’abri des nymphes, des mauvaises pensées, des conversations légères, de la dissipation, du jeu. Quand il en sortait, la crainte de céder à quelque entraînement dont ensuite il se serait fait reproche, et en particulier de manquer à la charité dans ses propos, imprimait à son attitude une certaine contrainte à laquelle on se trompait. On lui trouvait l’air méprisant, tandis qu’il n’était que gêné et timide. S’il gardait le silence, c’était hauteur; s’il s’obstinait à causer de questions scientifiques, auxquelles les courtisans n’entendaient rien, c’était pédanterie; et, comme ce monde de Versailles, où pointait déjà l’esprit de la Régence n’était, malgré certaines apparences, rien moins que dévot, c’était à sa dévotion qu’on s’en prenait. Il faut voir comme Saint-Simon s’en désespère, mais aussi de quels traits justes et mordans il marque, dans son Discours sur le duc de Bourgogne « ces rides austères, ces presque involontaires froncemens, cette gêne de précision qui ne sont pas la vertu et qui, entés sur elle, font tout fuir en sa présence; » comme il déplore « l’ignorance, la crainte, le peu de discernement qui accompagne toujours une dévotion presque naissante, le faisoit excéder dans le contrepied de ses défauts, et lui inspiroit une austérité qui outroit tout et qui lui donnoit un air contraint et souvent, sans s’en apercevoir, de censeur; » comme il s’impatiente de ses trop longs entretiens avec son confesseur « qui faisoient craindre qu’un jour cette place devînt la première dans le conseil du roi qu’il seroit un jour » et « penser avec angoisse que le ministère ne sera plus séparable de la théologie; que les affaires, que les grâces, que tout enfin deviendra point de conscience et de religion ; » avec quelle ardeur il souhaite enfin de voir le duc de Bourgogne « par principe de religion, renfermer tellement la sienne dans la justesse de ce qu’elle lui impose, par rapport à son état, qu’il s’affranchisse de tout ce qui n’en est pas l’essence, par cette douce liberté des enfans de Dieu qui, de l’intérieur, se répand aux choses extérieures. »

[1]

  1. Relation de la Cour de France, p. 390.