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son âme sont des réflexions, pour chaque jour du mois, écrites de sa main, et que le Père Martineau a publiées après sa mort. On voit en les lisant combien il était troublé du sentiment de sa responsabilité comme prince, mais aussi avec quelle confiance il mettait son espoir dans la miséricorde divine.

Sa dévotion croissante ne se traduisait pas seulement par ces effusions intimes. Elle éclatait dans ses lettres les plus familières. Les expressions de la piété la plus ardente reviennent à chaque instant sous sa plume dans sa correspondance avec Philippe V. C’est presque exclusivement au point de vue religieux qu’il envisage tous les événemens dont il l’entretient, domestiques ou publics. Est-il informé par son frère de la grossesse de la reine d’Espagne : « Tous les jours, lui écrit-il, je prie Dieu pour l’enfant dont la reine est grosse, afin qu’il en fasse un chrétien et un prince chrétien. » Lui parle-t-il de la santé de leurs deux enfans, « j’espère, dit-il, que Dieu qui nous les a donnés nous les conservera tous deux pour en faire un jour des instrumens de sa gloire sur la terre et dans le ciel. » Apprend-il tout à la fois une défaite en Flandre, la levée du siège de Barcelone, la perte du Brabant : « Voicy, mon très cher frère, écrit-il (30 mai 1706), bien des malheurs coup sur coup, de tous costés, et on a besoin d’autant de religion que vous en avez pour les souffrir patiemment. » Les choses s’aggravent-elles au point qu’il a été question d’acheter la paix au prix d’un démembrement de la monarchie espagnole, voilà ce qu’il trouve à dire au Roi dont on dépècerait ainsi le royaume (28 novembre 1706) : « J’ai compris aisément la peine qu’a dû vous causer l’idée d’un démembrement de quelqu’un de vos États, et j’ay été ravi en même temps de voir la résignation avec laquelle vous vous soumettiez de tout à la volonté divine. Plus on est élevé et plein d’un sang illustre et plus on est touché de faire de pareils sacrifices, mais aussi, d’un autre costé, le mérite en est d’autant plus grand. Je prie Dieu qu’il accepte votre soumission et que par des coups de sa main toute-puissante il vous en délivre tout à fait. »

Philippe V, nous le savons aujourd’hui, par l’ouvrage du Père Baudrillart, était beaucoup moins soumis, malgré toute sa piété, que ne le croyait son frère. On voudrait presque que le duc de Bourgogne ne le fût pas autant, que le sang illustre, dont lui aussi était plein, lui inspirât des accens plus mâles, et que sa résignation à la volonté divine ne semblât pas aller jusqu’au fatalisme.