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« Il y a quelques jours, dit-elle, dans une lettre du 18 janvier 1710, la maréchale de Cœuvres voulut embrasser le duc de Bourgogne de force, mais il tournait la tête sans qu’elle pût y arriver. Quand il se vit dans l’impossibilité de lutter plus longtemps, il lui enfonça une épingle dans la tête si fort qu’elle dut garder la chambre et le lit pendant plusieurs jours. Joseph lui-même fut surpassé, car il se sauva laissant son manteau, mais ne frappa ni n’égratigna personne. Jamais on ne vit semblable pudeur[1]. »

Plus hardie encore fut l’entreprise à laquelle, de complicité avec la duchesse de Bourgogne, se prêta Mme de La Vrillière, la fille de la comtesse de Mailly, qui « sans beauté, dit Saint-Simon, était jolie comme les amours et en avoit toutes les grâces. » Elle n’avait que vingt ans à l’époque où se place l’anecdote que Madame va nous raconter encore, avec sa crudité habituelle. « Vous aurez sans nul doute entendu raconter, écrivait-elle à la duchesse de Hanovre, combien le duc de Bourgogne est dévot. Il l’est au point de ne pouvoir regarder une autre femme que la sienne. Celle-ci, pour le taquiner un peu, dit une fois à Mme de La Vrillière de se mettre dans son lit. Ce soir-là, elle fit semblant d’avoir bien sommeil. Le duc, heureux de ce que sa femme voulût une fois se coucher de bonne heure et avant lui, se déshabilla bien vite pour aller se coucher aussi. Quand il entra dans la chambre de sa femme, il demanda : « Où est Madame? » Elle répondit : « Me voicy, » comme si elle était couchée, et lui vite, d’aller vers le lit, de se débarrasser de sa robe de chambre et d’y sauter. Mais à peine y était-il que la duchesse s’approcha, et faisant semblant d’être fâchée : « Est-il possible, dit-elle, que vous qui faites le dévot je vous trouve entre deux draps avec une des plus jolies dames de ce païs-ci? — Que voullés-vous dire? s’écria-t-il. — Reguardés qui est couchée près de vous! » répondit-elle. Il jeta la dame hors du lit: elle n’eut pas le temps de se remettre, ni de prendre ses pantouffles devant le lit, car il voulait très sérieusement la battre avec ses pantouffles à lui. Elle dut se sauver sans sa chaussure; lui ne put la rattraper, mais il lui criait toutes sortes d’invectives. « Vilaine effrontée, » était ce qu’il lui disait de moins fort. On voulait lui faire entendre raison, mais personne ne pouvait parler à force de rire[2]. »

  1. Correspondance de Madame, édition Bodeman, t. II, p. 236. Cette lettre n’a pas été complètement traduite par M. Jæglé.
  2. Correspondance de Madame, trad. Jæglé, t. II, p. 113.