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Encore fallait-il que ces fêtes, dont le Roi fixait la date, ne fussent point données le jour de quelque solennité religieuse. C’est ainsi que Saint-Simon, dans l’éloge qui suit le récit de la mort du duc de Bourgogne, ne peut cependant s’empêcher de lui reprocher la résistance obstinée qu’il opposa au désir exprimé par le Roi de le voir assister à un bal donné le jour de l’Epiphanie. Les instances de Monseigneur, de Beauvillier lui-même, rien n’y fit. « Véritablement, dit Saint-Simon, ce fut la faute d’un novice. Il devoit ce respect, tranchons le mot, cette charitable condescendance au Roi son grand-père, de ne pas l’irriter par cet étrange contraste; mais, au fond et en soi, action bien grande qui l’exposoit à toutes les suites du dégoût de soi qu’il donnoit au Roi et aux propos d’une cour dont le Roi étoit l’idole et qui tournoit en ridicule une telle singularité[1]. » Lorsqu’il assistait au bal, c’était avec un profond ennui dont on retrouve la trace dans ses lettres à son frère Philippe V, le roi d’Espagne[2] : « Le carnaval n’est, Dieu mercy, pas bien vif cette année, lui écrivait-il (23 janvier 1703), et il n’y a point encore eu de bals, » et, dans une autre lettre datée de Marly (22 janvier 1708) : « Nous sommes icy au milieu de bals et nous en avons encore pour un mois entier. Je ne laisse pas que d’en estre déjà un peu las, autant peut-être que ceux qui y dansent, car la lassitude de l’esprit est pire que celle du corps. »

Cette crainte des propos de la Cour, que Saint-Simon lui fait honneur d’avoir su braver, n’arrêta jamais le duc de Bourgogne. Elle ne l’empêcha pas davantage de se prononcer contre les spectacles. Bientôt son attitude commença de marquer le peu d’agrément qu’il y trouvait : « Le Roi lui ayant dit un jour qu’il avoit paru prendre peu de plaisir à la comédie : Sire, lui répondit-il, j’ai eu celui d’être auprès de Votre Majesté[3]. » — « Le Roi, ajoute Proyart, lui dit qu’il lui laissait toute liberté à cet égard. » Le duc de Bourgogne en profita pour assister de plus en plus rarement aux représentations théâtrales, et ses absences fréquentes provoquent cette observation de Dangeau : « On joua chez Monseigneur jusqu’à la comédie ; Mgr le duc de Bourgogne n’y vint

  1. Saint-Simon, édition Chéruel de 1857, t. X, p. 100.
  2. Les originaux des très nombreuses lettres du duc de Bourgogne à son frère Philippe V se trouvent aux archives d’Alcala. Le Père Baudrillart les a fait copier en 1886 et s’en est servi pour son bel ouvrage : Philippe V et la cour de France. Nous en publierons au cours de cette étude quelques-unes qui sont encore inédites et qu’il a bien voulu nous communiquer.
  3. Proyart. t. II, p. 176.