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m’a tiré du refroidissement où j’étois depuis un très long temps et j’espère que désormais je le servirai avec plus de fidélité. Benedictus Deus pater misericordiarum et Deus totius consolationis qui consolatur nos in omni tribulatione nostra. Dieu s’est servi de ce fouet pour me rappeler à lui. Ego autem in flagello paratus sum et dolor in conspectu meo semper.

En effet, mon cher Duc, vous vous souvenez bien de ce que je vous dis il y a environ un an, c’est-à-dire l’année passée, et comme je craignois ce qui me vient d’arriver. Mais Dieu me l’a conservé. Qu’il en soit loué et béni dans tous les siècles des siècles. Dans mon refroidissement j’eus toujours néanmoins bonne intention et j’ai eu plusieurs pressentimens de ce qui m’est arrivé.

J’oubliois de vous dire qu’après avoir prié Dieu, ainsi que Jésus-Christ le faisoit, de faire passer ce calice loin de moy, j’ajoutai aussi comme lui : Fiat voluntas tua, et j’étois parfaitement soumis à sa vo- lonté. Il a eu pitié de moy. Je l’en remercie incessamment. Remerciez l’en aussi pour moy. Quand vous serez de retour je vous entretiendrai avec plaisir de toutes ces choses. En attendant je vous aime toujours de tout mon cœur. Encore une fois remerciez Dieu pour moy du nouveau bienfait qu’il vient de m’accorder et demandez-lui pour moi la grâce de lui être toujours fidèle[1].


À partir de cette année, en effet, le duc de Bourgogne se retira insensiblement de la vie de la Cour et ne prit part aux fêtes que dans la mesure où ses devoirs de prince du sang l’y obligeaient. Le premier retranchement qu’il s’imposa porta sur la danse. Ce fut celui qui dut lui coûter le moins, car il n’était pas très adroit à cet exercice : « Mgr le duc de Bourgogne, rapporte Dangeau (janvier 1702), en renonçant à la danse, dit que c’était un malheur de n’y être pas adroit, mais qu’il y avoit tant d’autres qualités plus essentielles et plus à souhaiter dans les hommes qu’il songeoit à acquérir et qu’il espéroit réparer par là ce qui lui manquoit. » Mais Dangeau ne se contente point de cette raison et il ajoute : « L’on s’aperçoit tous les jours qu’il songe à ce qu’il y a de plus noble et de plus honnête[2]. » On le voit en effet se mêler de plus en plus rarement aux bals et aux mascarades. Il laisse la duchesse de Bourgogne aller seule aux divertissemens qui lui sont offerts, en dehors de Versailles, par des princes ou de simples particuliers. Il n’apparaît qu’aux fêtes de cour où sa présence était d’étiquette.

  1. Cette lettre inédite fait partie de celles dont la publication est confiée à M. le marquis de Vogüé et qui sont tirées des archives du château de Saint-Aignan, ancienne résidence de Beauvillier.
  2. Dangeau, t. VIII, p. 301.