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mais trois dictateurs, qui se surveillent et se gênent mutuellement, sont moins qu’un seul.

La plupart de ces derniers renseignemens ont été donnés au Reichstag par M. de Bulow. Le discours qu’il a prononcé, en réponse aux interpellations qui lui avaient été adressées, est plein de tact, de mesure et d’habileté. Il raconte les événemens au point de vue allemand, mais sans trop appuyer et sans récriminer. Il constate qu’il a obtenu satisfaction sur l’unanimité obligatoire des trois commissaires dans les décisions à prendre à l’avenir; il n’insiste pas sur le fait qu’il fallait également cette unanimité dans le passé, et que, si elle s’était produite pour maintenir la royauté à Mataafa, on s’en est fort bien dispensé pour la lui enlever. L’Allemagne a compris la nécessité des concessions : elle n’est pas la plus forte sur mer, et sa flotte ferait médiocre figure, seule, à côté de celles de l’Angleterre et des États-Unis. Elle a eu aussi pour cela des raisons d’un ordre plus élevé. « Une partie de la presse étrangère, a dit M. de Bulow, a fait remarquer que la valeur des Samoa n’est pas en rapport avec l’importance que cet archipel a prise au point de vue des relations internationales. C’est aussi notre avis qu’il serait souverainement odieux de déchainer la guerre entre trois puissances chrétiennes et civilisées pour un groupe d’îles de l’Océan Pacifique habitées par 30 000 sauvages, au milieu desquels vivent à peine 500 Européens… Mais il ne faut pas oublier deux choses : la première que nous avons le devoir de protéger la vie, les biens et l’industrie de nos compatriotes aux Samoa ; la seconde, que nous y possédons des droits conférés par traités, dont le maintien est considéré par le peuple allemand comme une question d’honneur. Nous ne demandons que le maintien de ces droits ; mais nous ne les laisserons pas diminuer. » Cette attitude est digne, assurément, et on ne peut que féliciter l’Allemagne de l’avoir adoptée. Nous avons montré nous-mêmes que nous savions proportionner l’effort à l’importance de l’intérêt à garantir : mais il faut avouer que l’Angleterre, et cette fois aussi l’Amérique, s’embarrassent infiniment peu de rendre aux autres la sagesse plus facile, et que le mérite en revient tout entier à ceux qui gardent assez d’empire sur eux-mêmes pour savoir quand même s’y conformer.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.