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II

Le commandement de l’armée fut moins difficile à constituer que l’armée elle-même. L’Empereur se réserva le commandement supérieur avec Randon, chef d’état-major. Parmi ses aides de camp il mit le général Fleury. L’armée fut divisée en quatre corps, plus la garde. À la tête du 1er corps, le maréchal Baraguay d’Hilliers; au 2e corps. Mac-Mahon; au 3e corps, Canrobert; au 4e, Niel ; la garde au général Regnault de Saint-Jean-d’Angely.

On éprouva quelque peine à savoir comment on emploierait le prince Napoléon. Depuis son retour de Crimée, il avait été comme étranger à l’armée, n’avait exercé aucune charge militaire et semblait s’être décidé au rôle d’un prince civil. Vaillant fut très étonné qu’il vînt lui demander le commandement de la garde. Le maréchal refusa. « Pourquoi? interroge le Prince. — Parce que vous seriez trop puissant, » répond le ministre. Il y avait de meilleures objections que le maréchal ne présenta point par courtoisie. On créa pour le Prince un 5e corps.

Parmi les généraux répartis entre ces cinq corps plus la garde se trouvaient les vaillans qui s’étaient déjà illustrés en Afrique et en Crimée : Mellinet, Trochu, Manèque, Picard, Forey, Ladmirault, Bazaine, Lebrun, Ducrot, Douay, d’Autemarre, etc. Le général Lebœuf commandait l’artillerie, Frossard le génie, et Pâris de Rollardière était l’intendant général. Notre armée totale était de 119 000 hommes, 10 200 chevaux, 432 pièces.

En dehors du corps expéditionnaire, deux armées furent constituées en France : une de réserve à Lyon, sous le maréchal de Castellane ; une d’observation sur la frontière du Rhin, sous Malakofî, rappelé à cet effet de son ambassade de Londres. Castellane eût voulu un commandement actif devant l’ennemi, et il déplaisait à Pélissier de quitter sa belle ambassade pour un rôle en seconde ligne dans une campagne qu’il n’approuvait pas. Castellane écrivit de nobles lettres au ministère et à l’Empereur, se plaignant de l’inactivité à laquelle on le condamnait. Pélissier ne déguisa pas son mécontentement[1]. Il avait les larmes aux yeux en quittant

  1. À Walewski, 25 avril 1859 : « Le courrier de dimanche m’a apporté votre dépêche du 28 avril qui m’annonce que l’Empereur me confie le commandement de l’armée d’observation de l’Est. J’avais en effet écrit à Sa Majesté pour lui rappeler qu’elle avait ici un de ses maréchaux. Soldat, je ne pouvais faire autrement, car en aucune circonstance je n’ai coutume de retirer mon épingle du jeu. J’aurais désiré une position plus militante, mais, soldat toujours, j’obéirai sans observation, d’autant plus que je puis avoir un grand rôle à remplir. Vous devez croire qu’après le regret de voir mon pays lancé dans des aventures dont il serait difficile de calculer la portée sûre, j’éprouve un réel chagrin de quitter un poste où j’ai la confiance d’avoir été utile et d’avoir entretenu avec vous des rapports dont je saurai garder un aussi bon et cordial souvenir. »