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veille pas sur les événemens dès leur origine, et que la raison politique n’intervient pas avec fermeté pour les modérer et les diriger. Il faut d’ailleurs reconnaître qu’il est difficile de modérer et de diriger des événemens qui se passent presque aux antipodes. Les agens locaux restent longtemps livrés à eux-mêmes. M. de Bismarck a autrefois décrit, ou du moins baptisé la maladie particulière à laquelle ils sont en proie : il l’appelait morbus ou même furor consularis. Les consuls, comme on va le voir, ne sont pas les seuls à en être atteints. Sa violence est généralement en raison directe de l’éloignement de la mère patrie : c’est dire à quel degré elle s’élève aux îles Samoa. Mais si l’éloignement présente un inconvénient, il a, en revanche, un avantage : les choses qui se passent très loin font moins d’effet. Si celles que nous allons raconter brièvement s’étaient passées à portée de la vue européenne, Dieu sait ce qui en serait résulté!

Les deux prétendans qui se disputaient le trône en 1888 s’appelaient Malietoa et Mataafa. L’un était soutenu par les Anglais et l’autre par les Allemands. Après des combats multipliés et acharnés, Malietoa l’emporta. Il fut reconnu roi par les trois puissances, et, aussi longtemps qu’il vécut, la paix intérieure se maintint aux îles Samoa. Cela ne veut pas dire que Malietoa ait joui d’une grande autorité. La convention de 1889 donne le pouvoir effectif à un condominium composé de l’Angleterre, des États-Unis et de l’Allemagne; le roi est un roi fainéant et purement décoratif; son action personnelle se réduit à peu de chose, ou même à rien. On sait combien un condominium est difficile à faire vivre et fonctionner longtemps : à deux, c’est presque impossible, et à trois, tout à fait. Tous les condominium sont des nids à conflits, et la seule chose qui surprenne est que celui de l’Angleterre, de l’Allemagne et des États-Unis ait pu durer dix ans sans trop grands dommages. Les autorités effectives aux îles Samoa sont le juge suprême, ou chief justice, et le président de la municipalité d’Apia : l’un exerce le pouvoir judiciaire, l’autre le pouvoir exécutif. Ils sont nommés par les trois puissances : dans le cas où celles-ci ne parviendraient pas à se mettre d’accord, elles devraient en appeler au roi de Suède pour la désignation du juge suprême, ou, pour l’élection du président de la municipalité d’Apia, au chef d’un des États suivans : Suède, Hollande, Suisse et Brésil. Quant au roi, il est élu par les chefs des districts et proclamé par le juge suprême. Tel est le singulier régime auquel on s’est arrêté en 1889, à la suite d’une conférence tenue l’année précédente à Washington. Les choses, comme nous l’avons dit, ont marché tant mal que bien pendant dix années.