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de se former : s’il en était ainsi, la protestation serait bientôt unanime, et la nécessité d’une réforme inéluctable. Le gouvernement laisse donc les associations se former. Il les prend en quelque sorte à l’essai. Aussi longtemps qu’elles ne l’embarrassent pas, il les tolère, et il y en a beaucoup qui sont dans ce cas : dès lors, le besoin de s’associer, qui existe toujours parmi les hommes, reçoit une satisfaction de fait tout juste suffisante pour que la révolte universelle dont nous parlions plus haut n’éclate pas. Le gouvernement supprime, quand il le juge à propos, les autres associations. Celles-ci protestent, assurément, mais leur protestation ne devient pas générale, et on peut la négliger : un moment arrive d’ailleurs où la lassitude l’épuisé et l’éteint. Au surplus, les Chambres sont là, dit-on, pour demander au gouvernement des explications sur sa conduite, et pour la blâmer s’il y a lieu. Nous l’avouons : qui ne voit pourtant que ce contrôle des Chambres n’est pas ici une garantie réelle ? Sans doute un ministère qui tient à durer ne se permettra rien qui puisse sciemment le mettre en conflit avec la majorité parlementaire : mais cette majorité est une force politique, par conséquent passionnée, quelquefois aveugle, et la plus impropre de toutes à rendre équitablement la justice. La loi seule et les tribunaux qui l’appliquent peuvent assurer une sauvegarde véritable aux citoyens, à la condition que la loi soit la même pour tous, la même tous les jours, et que les tribunaux soient indépendans.

Ce qui vient de se passer montre avec une clarté nouvelle combien il est urgent de faire une loi sur la liberté d’association. Est-ce là ce que le gouvernement a voulu ? Alors, il a atteint son but. Lorsqu’il s’est formé, le ministère Dupuy a annoncé cette loi comme prochaine : c’est une des promesses de son programme. Voilà déjà six mois qu’il existe, et nous n’avons encore vu rien venir. Il a soumis la rédaction du projet au Conseil d’État ; c’est une précaution louable, à la condition toutefois que le Conseil d’État, sur lequel le gouvernement a quelque influence, ne retarde pas indéfiniment le dépôt de la loi. La situation actuelle est intolérable. Nous ne plaidons ici aucune cause particulière, pas plus celle de la Ligue de la Patrie française que celle de la Ligue des Droits de l’Homme, pas plus celle de la Ligue plébiscitaire que celle de la Ligue antisémitique. Mais pourquoi les citoyens ne pourraient-ils pas s’associer en vue d’un objet licite ? S’il y a des précautions à prendre, et il y en a, contre les extensions ou déviations que l’exercice d’un pareil droit peut amener dans la pratique, qu’on les prenne. Nous ne demandons pas qu’on sacrifie la sécurité de l’État à la liberté des associations ; mais est-il impossible de les concilier,