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l’arrêt, et soyez certain que je l’exécuterai. » Un alchimiste la soupçonna d’avoir voulu le faire tuer : « Comme je n’en avais jamais eu la pensée, cela me scandalisa fort. » Elle aurait pu l’avoir, mais elle ne l’avait pas eue, et elle en voulait à cet alchimiste d’être un esprit obtus et de porter des jugemens téméraires.

Il était écrit pourtant qu’un jour elle aurait son roman et trouverait son maître, qu’un jour cette reine superbe apprendrait à courber son front, à ployer ses genoux : « — Mon cœur vous sera fidèle jusqu’à la mort… Je souffre tout de vous… Je ferai voir à toute la terre que vous m’êtes plus considérable que tous les rois du monde ensemble… On ne vous a pas dit la vérité, je ils fort peu, et, si l’on vous eût dit que je me promène les nuits entières toute seule dans ma chambre, on vous aurait moins trompé; et on vous aurait dit encore plus vrai, si l’on vous eût assuré que je passe les nuits à pleurer mes malheurs ; mais ce secret n’est connu que de vous et de moi… Je veux vivre et mourir votre esclave. »

Nous n’avons pas les lettres du cardinal, il a eu soin de les détruire ; mais les réponses de Christine en révèlent suffisamment le sens et la teneur, et, quoique l’éditeur de cette correspondance ait refusé de se prononcer, il ne peut y avoir aucun doute sur la nature de leurs relations et le degré de leur intimité. Elle l’appelle son amant et lui prodigue les déclarations ; mais sans cesse elle se plaint de lui, elle lui reproche ses froideurs, sa réserve, ses civilités cérémonieuses, elle le trouve changé à ne pas le reconnaître. Nous pouvons être certains qu’il s’est prêté quelque temps à un caprice de reine qui flattait sa vanité, qu’il en a apprécié en gourmet la piquante saveur, mais qu’il n’a pas tardé à se déprendre, à se ravoir. Sa Roxane l’inquiétait, il a craint qu’elle ne compromit son avenir ; elle méprisait les précautions ; loin de sauver les apparences, elle semblait chercher le scandale. Il l’a jugée encombrante ; cet ambitieux n’a pas voulu sacrifier sa fortune politique à une liaison périlleuse, dont il commençait à se lasser. Il a battu en retraite, il a allégué la dignité de son caractère, les bienséances ecclésiastiques, les exigences de la morale. — « Simon amitié vous importune, je vous proteste que je chercherai la mort pour vous en délivrer, et qu’elle me sera moins insupportable que les sentimens de mépris et d’indignité que vous me témoignez… On se lasse de tout en ce monde, et les félicités importunent quelquefois autant que les malheurs. »

Aux doléances, elle joint les ironies; elle le nargue, elle le persifle : — « Vous m’éditiez par les méditations théologiques et morales que