Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec lui pendant le séjour qu’elle fit à Hambourg de 1666 à 1668.

Dans cette curieuse correspondance, conservée dans les archives de la famille, et que M. de Bildt vient de publier, les questions d’affaires tiennent une grande place. Christine ne sut jamais compter, les soucis d’argent ont été la plaie de sa vie ; jusqu’à sa mort, elle s’est débattue dans les embarras et les détresses. Par l’acte d’abdication, elle s’était réservé les revenus de quelques provinces, qu’elle faisait administrer par ses propres agens, et sur lesquelles elle exerçait des droits limités de souveraineté; mais il se trouva que ses revenus restaient toujours fort au-dessous de ses évaluations, et qu’au surplus ils avaient beaucoup de peine à rentrer. La Suède était une mauvaise payeuse, et Christine était horriblement dépensière; ajoutons que, se connaissant peu en hommes, elle s’entourait d’escrocs, qui la pillaient à l’envi. Elle a dit un jour « qu’on change de voleurs en changeant de ministres, que, s’il y a des exceptions à cette règle, elles sont rares. » Elle n’avait plus de ministres à sa solde; mais banquiers, serviteurs, courtisans, administrateurs de ses biens, tout le monde la volait sans vergogne, et elle se flattait en vain de faire rendre gorge à ses larrons. Dans ses nécessités, elle s’ingéniait à trouver la pierre philosophale et, comme elle, le cardinal Azzolino était un alchimiste passionné. L’alchimie ne l’enrichit point, son laboratoire demeura toujours un pays maigre et stérile. Que vaut dans le monde une reine dont les caisses sont vides? « On accuse Mazarin d’être avare, avait-elle écrit en 1656, mais je ne le crois pas. Je crois qu’il estime l’argent et en fait compte, comme le doit faire un chacun qui connaît la puissance de cette âme du monde qui régit toutes choses. » Azzolino ne se lassait pas de lui prêcher l’économie, et, grâce à cet homme d’ordre, son budget fut parfois en équilibre ; mais il lui prenait bientôt une lubie qui dérangeait tout. Elle ne sut jamais résister à ses fantaisies, qui étaient toujours coûteuses.

Elle s’était rendue à Hambourg en 1666, pour prendre des arrangemens avec un homme de finance, Manoël Texeira, dans les mains duquel elle avait concentré peu à peu l’administration de sa fortune ; c’était son principal receveur, chargé de toucher et de lui faire tenir ses revenus. Elle comptait profiter de son séjour dans l’Allemagne du Nord pour faire une pointe en Suède ; elle s’était promis d’arracher au gouvernement suédois des concessions qui auraient mis fin à ses embarras. Son attente fut déçue : le gouvernement suédois était peu disposé à obliger une renégate, dont il redoutait les intrigues, et elle ne put faire dans son pays natal qu’une courte apparition. « Toute sa vie,.