Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Villard de Honnecourt. Rien assurément ne ressemble moins au Livre de l’Athos que ce vade mecum d’un ouvrier savant dans toute la pratique de son art, qui était aussi un dessinateur prestigieux. Trouve-t-on une tradition fixée, une autorité imposée sur aucun de ces feuillets de parchemin? La même page réunit les figures des douze apôtres avec un tracé géométrique et un bonhomme qui fait la culbute. Je n’ignore pas que Villard de Honnecourt esquisse lui-même, pour l’exemple de ceux qui consulteront son recueil, la scène de la crucifixion, qu’il enseigne par deux dessins superbes comment on représente l’Humilité par une svelte guerrière, et l’Orgueil par un cavalier désarçonné. Mais des formules de composition qui vont de pair avec des renseignemens techniques et des croquis d’après nature ont cessé d’appartenir à l’Église. Cette iconographie est chrétienne, je le veux; mais elle n’est pas plus « ecclésiastique » que la géométrie ou l’histoire naturelle. Dès qu’une tradition se fixe, non plus dans des livres, mais dans des lignes, et qu’une scène évangélique se réduit à une combinaison de traits qui ne sont plus pour l’homme du métier qu’une arabesque, la théologie n’a plus aucun droit sur elles, et les artistes se transmettent ces images comme leur bien.

On pourrait seulement se demander si les modèles que copiaient encore au XIIIe siècle les artisans laïcs, ne remontaient pas de proche en proche à des modèles dessinés par des prêtres ou des moines qui auraient été à la fois des artistes et des clercs. M. Mâle a émis cette hypothèse sous forme affirmative. En une phrase unique (p. 497), il a imposé pour ancêtres aux manuels des architectes et des sculpteurs qui ont travaillé à Chartres, à Notre-Dame, à Reims, les manuscrits à miniatures élaborés dans quelque monastère. Le livre d’Eglise continuerait ainsi d’exercer son autorité sur les œuvres des artisans laïcs, par le ministère des figurines hiératiques, sorties de la pure tradition orthodoxe, comme les ouvrages mêmes des docteurs.

L’idée était assez hardie pour mériter d’être développée. Mais, si M. Mâle a su parfois s’apercevoir qu’il y avait lieu de distinguer entre « la tradition écrite » et « la tradition artistique, » il a pris soin de nous avertir, dès son introduction, qu’il ne s’occuperait pas de suivre cette dernière. On doit le regretter, car la lacune que l’auteur a volontairement laissée dans ses recherches, pouvait compromettre sa conclusion même, dans la forme absolue qu’il lui a donnée. Il semble que les artistes, au moment où ils