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des actes des apôtres aux vies des saints, nous arrivons, après avoir parcouru d’un élan immense les époques et l’avenir, jusqu’au dernier jour qui doit clore l’épopée chrétienne du monde par le drame du Jugement dernier. Partis des boutiques de drapiers ou de corroyeurs dont un vitrail ou un bas-relief a retracé pieusement l’image, nous nous élevons jusqu’à la gloire des élus et des anges. Depuis les Vertus qui combattent la lance au poing jusqu’aux Béatitudes de la vie éternelle, ces quatorze vierges victorieuses, accoudées sur leur grand bouclier, nous avons reconnu tout ce qui fait la force et l’espérance de l’âme fidèle.

Sous chacune de ces figures innombrables on pourrait inscrire un verset, un fragment de poème, une page de sermon, un chapitre d’une Somme ; et ces textes rapprochés reconstitueraient un volume où l’on retrouverait, par fragmens, non seulement les écrits des docteurs du moyen âge et des Pères des premiers siècles, non seulement les Écritures authentiques et la série des apocryphes, mais encore tout ce que la science ecclésiastique avait retenu de l’antiquité à travers les livres fumeux d’un Prudence, d’un Boèce, ou d’un Martianus Capella.

Toute cette littérature apparaîtrait, dans les œuvres d’art où elle se condense, interprétée suivant ce goût de l’allégorie qui hantait tous les esprits formés par l’Ecole ; on verrait, par exemple, comment le peintre de verrière ne représente de l’Ancien Testament que les personnages et les scènes qui figurent la Loi de grâce, ou, du Nouveau, que les paraboles évangéliques les plus fécondes en applications. Toute histoire, même sacrée, n’est pas choisie pour elle-même, mais seulement pour la pensée divine que le personnage ou l’action laisse deviner.

Ainsi la cathédrale exprime la théologie orthodoxe et la science officielle du moyen âge, dans leur lettre et dans leur esprit. Ce n’est point par une rencontre fortuite que les Sommes rédigées par les docteurs et les grandes églises couvertes de sculptures et rayonnantes de vitraux ont réalisé en même temps, dans le XIIe siècle, leur forme la plus riche et la plus harmonieuse, que les répertoires de science universelle et les églises géantes se sont multipliés parallèlement pendant plus de cent ans, pour cesser de se reproduire les uns et les autres vers la fin du XIIIe siècle[1].

  1. Pour les dates entre lesquelles ne trouve circonscrite l’ « Époque des Sommes » on peut consulter une thèse, d’ailleurs insuffisante, de l’abbé Simler (1871, chap. IV). La Somme des sentences, par Hugues de Saint-Victor, qui a donné son nom au genre même de ces écrits théologiques, est de 1120. La dernière des grandes Sommes est l’œuvre de Henri de Gand, qui mourut en 1293. Le fonds des Manuscrits latins de la Bibliothèque Nationale est encombré de Sommes inédites.