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ce qui a forme humaine. L’un de ces mondes est livré aux artistes; l’autre est le domaine des théologiens.

Ne nous étonnons pas de cette dualité : à tout prendre, la cathédrale est l’image exacte des beaux manuscrits enluminés pour l’école ou pour l’autel. L’architecte a préparé le parchemin et, si l’on veut, la reliure sévère ; les pages sont encadrées de rinceaux capricieux, parmi lesquels des grotesques font mille tours, comme pour se moquer du lecteur; mais, à côté des arabesques les plus folles, les caractères carrés s’alignent, rigides et graves, comme les statues d’un portail. Chacune des grandes églises du XIIe et du XIIIe siècle porte un texte écrit dans ses sculptures et sur ses vitraux: la série des figures et des scènes pieuses forme, tous les docteurs nous le répètent, le bréviaire des illettrés.


II

Traduire le texte que, sous la dictée des savans, les artistes ont rédigé pour le peuple, en commenter le sens profond et les nuances les plus subtiles, c’était le dessein même de M. Mâle. Les résultats de ses recherches sont si nombreux et si précis que je puis à peine en donner un aperçu.

Tout d’abord on peut affirmer que certaines représentations d’animaux, réels ou fantastiques, reçoivent elles-mêmes de l’Eglise un sens allégorique: le lion et la licorne, l’aigle et le pélican, le basilic et le charadrius se montrent parfois pour donner aux fidèles une leçon morale qu’on trouve développée dans le vieux Physiologus oriental. Puis, nous élevant au-dessus des êtres obscurs, interprètes inconsciens de la Révélation, nous entrons dans la vie humaine; le cycle des images religieuses admet les métiers, les travaux quotidiens, les travaux de chaque mois, mis en scène comme dans un fabliau. Dieu bénit le travail accompli en vue de sa gloire. Les arts et les sciences du Trivium et du Quadrivium, figurés par des personnages munis d’attributs singuliers, sont mis en parallèle avec les vertus, personnifiées par des vierges armées. À Chartres, des statuettes représentent, dans leurs manifestations diverses, les deux formes essentielles de la vie humaine, vie contemplative et vie active.

Après cette psychologie toute pénétrée de morale, voici l’histoire, telle que la comprenait le moyen âge, c’est-à-dire le règne de Dieu à travers les temps. De l’Ancien Testament au Nouveau,