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C’était peu d’extraire des Sermons ou des Sommes un répertoire plus ou moins copieux d’attributs et de symboles. Il fallait cesser de traiter la patrologie en simple auxiliaire de l’archéologie. Il fallait goûter plus intimement les vieux livres qui gardent à leurs feuillets, comme un antique parfum d’encens, l’esprit même du christianisme savant. Il fallait épuiser la substance de ce latin épais, jusqu’à s’assimiler les habitudes de pensée qui, au temps d’un Suger ou d’un saint Thomas, s’imposaient à toute intelligence réglée par l’étude. Or, un homme du XIXe siècle qui acceptait de plier ses observations et ses impressions aux catégories des scolastiques, se trouvait contraint de retourner radicalement la hiérarchie des faits et des idées qui lui était familière.

Les docteurs n’ont point formulé une théorie de l’art; mais ils ont exposé amplement leur conception du monde, et dans leur physique, on peut dire qu’une esthétique est impliquée. Ces hommes absolus ne pouvaient juger des créations de l’art autrement que des créatures de Dieu, et l’imitation que les artistes faisaient des êtres et des choses devait, aux yeux des initiés, revêtir le même sens que la nature elle-même.

Personne n’a jamais exprimé devant une œuvre humaine une admiration plus éloquente que celle de Vincent de Beauvais devant le spectacle du monde. Dans le vingt-neuvième livre de son Grand Miroir, après avoir passé en revue l’ouvrage des six jours, il chante la perfection du chef-d’œuvre achevé par l’éternel architecte; il célèbre la disposition de toutes les choses, la variété de leurs aspects, la richesse de leurs propriétés, leur harmonie et leur beauté. Mais ces créatures, comment le docteur nous enseigne-t-il de les contempler? « Nous pouvons, dit-il en substance, les considérer de quatre manières : et d’abord nous voyons que par elles-mêmes, elles n’ont point d’existence et ne sont que vanité; puis nous reconnaissons qu’elles nous apportent un don de Dieu et nous présentent une ressemblance de la raison divine ; ou encore nous comprenons que Dieu se sert de leur ministère pour accomplir ses jugemens de miséricorde ou de colère; ou enfin nous cherchons dans le monde visible la satisfaction de nos sens. » De ces quatre manières de regarder la nature, la dernière est absurde et coupable, et la première nous laisse entrevoir la vérité, que les deux suivantes nous dévoilent. Cette vérité est la négation de tout ce que nous, hommes d’aujourd’hui, nous savons et nous pensons. Tout ce que nous étudions comme une