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ont aimé et pratiqué le moyen âge. Viollet-le-Duc reprenait à son compte les assertions les plus audacieuses de Victor Hugo, et, dans son Dictionnaire d’architecture, il dissimulait à peine la satisfaction anticléricale qu’il éprouvait à présenter les cathédrales comme une œuvre réalisée par les communes affranchies, en dehors de l’Eglise et de sa discipline de pensée. En revanche, l’intraitable Père Cahier ne pouvait décrire une gargouille sans citer vingt docteurs. Les savans allemands, plus modérés, n’ont pas été moins divisés. Tandis que Piper, le Didron allemand, et son illustre disciple, Anton Springer, n’ont cessé de multiplier les rapprochemens entre la littérature ecclésiastique et l’art chrétien, M. Vöge, le professeur de Berlin, auquel nous devons une importante étude critique sur les origines de la statuaire française, reste d’accord avec Viollet-le-Duc pour s’enfermer dans le développement organique de l’art, et dédaigner à peu près toute explication symbolique.

Pour décider entre ceux qui ne reconnaissent dans l’art du XIIIe siècle que la seule tradition de l’Église, ou au contraire la pure liberté des artistes, il était nécessaire qu’un ouvrage méthodique eût groupé tous les résultats acquis depuis soixante ans par les études iconographiques. La tentative était faite pour effrayer les plus audacieux. Il y fallait ce qui avait manqué à un technicien comme Viollet-le-Duc, et aussi à tel ecclésiastique perdu dans les symboles : une connaissance également approfondie des textes et des monumens; les premières conditions de succès étaient donc une lecture immense et des voyages dans toutes les provinces. Pourtant le travailleur s’est trouvé et le travail est fait. M. Emile Mâle, en présentant à la Sorbonne une thèse sur « l’Iconographie du moyen âge et ses sources d’inspiration, » a bien compris l’importance de la tâche qu’il avait accomplie, et c’est avec une légitime fierté qu’il a donné à son livre ce beau titre : L’Art religieux du XIIIe siècle en France, car il s’est posé nettement la question vitale, celle des rapports qui ont uni l’art et la religion dans le siècle des Cathédrales.


I

L’œuvre de M. Mâle est animée du commencement à la fin par un effort suivi pour comprendre l’art du XIIIe siècle comme avaient pu le comprendre les contemporains.