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partir sur-le-champ, dit-il; qu’on mette les chevaux à ma voiture : je veux retourner à Saint-Cloud. — Duroc fut très étonné, comme on peut le croire. — Partir à cette heure ! dit-il au Premier Consul. Tous les gens sont couchés, toutes les portes, toutes les grilles sont fermées. Il est impossible de préparer votre départ, sans éveiller beaucoup de monde et sans faire beaucoup de bruit. — Vous vous trompez, répondit Bonaparte, j’ai remarqué un garde-manger, dont la fenêtre est fort basse. En sortant par là, vous serez d’abord hors de l’enceinte. Vous irez réveiller mon cocher, vous amènerez la voiture sous la même fenêtre et nous partirons sans être aperçus.

On ne réplique point à Bonaparte. Duroc obéit, réveilla le cocher, amena la voiture. Bonaparte passa par la fenêtre ; à deux heures, il était à Saint-Cloud. Mme Bonaparte fut très surprise et même effrayée de le voir arriver à pareille heure, mais il la rassura bientôt : — Je reviens auprès de vous, lui dit-il. C’en est fait, je ne veux plus me laisser arracher à mes habitudes, je ne veux plus vous quitter. Ce n’est qu’auprès de vous que je puis être heureux.

On voit que cette aventure se termina pour lui d’une manière assez galante. Mais qu’on juge de la surprise qu’éprouvèrent les habitans de Morfontaine, lorsque, à leur réveil, ils demandèrent le Premier Consul et qu’on leur annonça son départ ! Ce fut une nouvelle journée des Dupes. Joseph et Lucien se sont bien promis, sans doute, de faire murer la fenêtre du garde-manger.