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copie et on la fit imprimer dans le Moniteur. Bien entendu cependant qu’on en supprima les dernières strophes. Le retranchement déplut fort à Lemercier, qui, pour mettre sa fierté républicaine à l’abri, fit imprimer séparément son ode tout entière.

C’était alors à la Cour consulaire à se venger : 1° de ce qu’on n’avait pas respecté sa sage réticence ; 2° de ce qu’on ne voulait plus faire jouer Charlemagne qu’après Isule. La vengeance est plus aisée à un Consul qu’à un poète.

Le père de Lemercier possède une maison du côté des Tuileries, dans l’alignement où l’on démolit dans la rue Saint-Honoré. Tout à coup, ordre est donné au propriétaire de déposer ses titres aux Finances. Le danger était grand, car, les maisons qu’on abat ayant été bâties autrefois sur un terrain appartenant à la Couronne, on les détruit sans indemnité. La maison en question est un objet de huit cent mille livres et fait à peu près toute la fortune de Lemercier. Heureusement qu’on a prouvé par de bons titres que cette maison appartenait à sa famille antérieurement aux États généraux de 1525 qui déclarèrent les domaines inaliénables. Il faudra donc qu’on l’indemnise, mais on connaît ce genre d’indemnités.

On juge bien que cette persécution ne marche pas sans une disgrâce personnelle. Par surcroît, une persécution dramatique est conduite parallèlement. Des émissaires ont essayé de faire sentir à Lemercier qu’un empereur d’Occident doit avoir le pas sur un vieux druide. Quand on l’a vu persister, on l’a menacé de faire tomber sa mauvaise tragédie d’Isule, de siffler son grand prêtre amoureux et son amante gauloise. On a du moins trouvé le moyen d’en retarder la représentation. Lemercier soutient son dire avec courage. S’il a de la niaiserie, il a du moins de la fermeté. Tout cela prouve qu’il vaut mieux se taire que de faire des odes, quand on a des maisons dans la rue Saint-Honoré.


Paris, le 11 octobre 1802.

Voici ce que l’on raconte sur la disgrâce de Fouché. Il venait d’apporter à Bonaparte un long rapport sur l’état de Paris et des provinces. Bonaparte y jeta un coup d’œil dédaigneux et dit au ministre :

— Vous m’accablez toujours de vos longs raisonnemens par écrit. Je n’ai pas le temps de les lire : ce sont des faits qu’il me faut.

— Voulez-vous, dit Fouché, que je vous fatigue par des détails