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Arrivé au faîte de la puissance et de la gloire, les efforts mêmes qu’il fera pour s’élever plus haut ne serviront qu’à préparer sa chute. La conversation que nous venons de rapporter prouve qu’il est dans l’ivresse, qu’il se regarde comme un dieu sur la terre et qu’il ne croit pas que rien puisse lui résister. Au milieu de ce vertige, il tentera tout, il bouleversera tout, et se creusera à lui-même le précipice qui doit l’engloutir. Le poignard ou le poison, tel est vraisemblablement le sort qui l’attend…

On prétend que lorsque l’évêque d’Autun dut être ministre du Directoire, il hésita. Il craignait que sa réputation ne souffrît s’il acceptait une pareille place. Il en parla, dit-on, un jour à une dame de ses amies qui lui dit : « Allez, l’abbé, que cela ne vous inquiète pas. Vous avez de la boue jusqu’au cou : qu’importe que vous vous en mettiez par-dessus la tête? »

Soit que nous eussions été mal informés des intentions de M. Grant dans son voyage à Paris, soit que Talleyrand, à force d’argent, l’ait fait consentir au divorce, ce qui est certain, c’est que l’évêque sécularisé vient d’épouser Mme Grant, à la face de l’Etat et de l’Église. Il faut cependant convenir qu’il n’a point cherché à donner trop d’éclat à la cérémonie. Voici comment on raconte que tout s’est passé.

La veille, Mme Grant écrivit à Sainte-Foi de la venir voir de bonne heure. Il s’y rendit à 10 heures et trouva Madame seule avec l’amiral Bruix. Elle ne dit pas un mot de ses intentions et parla seulement avec une sorte de nonchalance d’aller se promener. L’heure était singulièrement choisie.

— Où irons-nous? ajouta-t-elle.

Sainte-Foi, qui était au fait, répondit :

— Je crois que nous ferions bien d’aller à Mousseaux. Nous y trouverons le maire Duquesnoy à qui nous pourrons avoir affaire.

La conversation finit là. Mme Grant monta en voiture avec Bruix et Sainte-Foi et on dit simplement au cocher : À Mousseaux. Pendant le chemin, point de confidence. On arrive, on trouve Talleyrand mollement couché sur une chaise, n’ayant pas l’air plus affairé que ne l’avait Mme Grant. Rœderer et Beurnonville, les deux autres témoins, étaient avec lui. Il n’est encore question de rien. Enfin le maire Duquesnoy paraît avec ses registres. « Nous allons terminer notre arrangement, » dit alors l’évêque. Et en effet, les époux, le maire et les témoins signent les uns après les autres. On remonte en voiture et on part pour Saint-Gratien où l’amiral