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trois avis ; je me rends à l’opinion d’Ollivier, abstenons-nous. » Hénon céda à son tour. Il fut convenu aussi que, dans le discours que j’allais prononcer, j’éviterais d’être désagréable au Piémont et d’exprimer mes défiances contre son extension.

À peine entrés en séance, on me donne la parole. « Depuis quatre mois, dis-je, l’esprit public est ému et se demande avec anxiété si la France conservera la paix ou s’engagera dans la guerre. Nous regrettons que trop longtemps les seuls renseignemens aient été fournis par les discussions du parlement anglais ou sarde, et que nous ne soyons enfin saisis de la question qu’en présence des faits accomplis. — Un sentiment unanime passionne l’Italie ; tout le long de l’Apennin gronde un cri de fureur contre l’Autriche; les violens comme les modérés, les constitutionnels comme les républicains, les femmes comme les hommes, demandent avec rage l’expulsion des barbares (Murmures) ; et, trouvant dans cette haine l’union qui lui a manqué, l’Italie se rallie sous les bannières du Piémont et appelle la France. — Ce sentiment est légitime : depuis 1815, l’Autriche ne s’est pas bornée à violer les promesses faites en son nom aux Milanais et aux Vénitiens, en 1809, par l’archiduc Jean et, en 1815, par le maréchal de Bellegarde; elle n’a cessé d’opprimer l’Italie entière; elle l’a rendue comme au temps du Dante, di dolore ostello, l’asile des douleurs. »

Je discutai alors la valeur des traités de 1815 et la conduite du gouvernement dans les négociations. Puis je continuai : « Le gouvernement se bornera-t-il à une guerre localisée, ou, d’accord avec la Russie, médite-t-il un remaniement de la carte d’Europe? En Italie même, que se propose-t-il? Il est bien permis de se le demander avec angoisse, quand on songe que, si la France a toujours manifesté les plus vives sympathies pour l’Italie, elle a plus d’une fois fait naître ou augmenté ses maux. Sans doute l’intervention peut amener l’affranchissement; elle pourrait n’aboutir qu’à un traité de Campo-Formio ou à une nouvelle expédition de Rome. Entre laquelle de ces hypothèses le gouvernement optera-t-il? En supposant qu’il le sache lui-même, nous l’ignorons. Il ne nous serait possible de voter pour la loi qu’en témoignant au gouvernement une confiance qu’il ne nous inspire pas. (Interruption.) Voter contre, ce serait, en apparence du moins, abandonner l’Italie et les braves volontaires que de toutes parts elle jette en Piémont ; ce serait nous ranger du côté de cette Autriche que nous détestons plus que le gouvernement ne la déteste, puisqu’elle