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comment il les traite. Le portrait de Mme Bonaparte par Gérard, exposé au dernier Salon, a fait beaucoup de bruit. L’histoire de ce portrait est peu connue, quoique assez curieuse. Mme Bonaparte persécuta longtemps Gérard pour obtenir qu’il consentît à la peindre. Gérard ne s’en souciait pas et s’en excusait sous divers prétextes. Enfin, elle lui dit un jour : « C’est sans doute parce que je ne suis ni jeune, ni jolie que vous me refusez. » Il n’y avait plus à reculer. Le prix fut convenu à huit mille francs. Gérard peignit l’épouse du Premier Consul et ce tableau eut le plus grand succès à l’exposition du Louvre. Six mois s’étaient écoulés et Gérard n’avait reçu que deux mille francs. Fatigué de réclamer vainement le complément du prix, il envoya le cadre aux Tuileries et garda le tableau. Ce procédé hardi eut tout le succès qu’il pouvait en attendre; on lui compta ce qui lui revenait et deux mille francs en plus.

Mme Lebrun, que les cours les plus illustres traitent honorablement, n’a pas trop à se louer de celle-ci. Elle demanda dernièrement qu’au lieu d’un logement au Louvre, on lui en donnât un à la campagne. Le ministre lui répondit qu’étant logée à la ville elle n’avait pas droit de réclamer autre chose. Mme Murat est la seule de l’entourage consulaire qui lui ait dit un jour : « Je serais bien aise d’avoir mon portrait de votre main. J’y songerai, nous verrons. »

Le Premier Consul a le défaut de faire des plaisanteries ou même de dire de dures vérités à des gens qui n’osent pas répliquer. Méhul fut une fois invité à dîner chez lui, comme membre de l’Institut. Bonaparte lui dit : « Citoyen Méhul, votre réputation est au-dessus de votre talent. Je n’aime pas votre talent; je n’aime que la musique italienne. » Les acteurs de l’Opéra étant, allés le féliciter d’avoir échappé à l’attentat du 3 nivôse, il s’adressa à Gardel seul et lui dit : « Citoyen Gardel, faites-nous donc des ballets. À l’Opéra, je n’aime que les ballets : on n’y chante pas, on y crie. »

Ce qui a surtout aigri les comédiens contre le gouvernement, c’est la sévérité de la censure et la défense de jouer l’Edouard[1] aux Français et l’Antichambre[2] à Feydeau; le tort du gouvernement est d’avoir souffert que l’on représentât la première de ces pièces. Il n’en est pas ainsi pour l’Antichambre. On dit que cette

  1. Edouard en Écosse, ou la Nuit d’un proscrit, par Alexandre Duval.
  2. Les Valets dans l’antichambre, opéra-comique par Dupaty.