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Delmas. On s’est contenté de le renvoyer de sa division : y mettre plus d’éclat eût été avouer qu’il existait un parti de mécontens dans le militaire et se mettre dans la nécessité de divulguer les motifs de la sévérité qu’on aurait déployée. Ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’on a fait insérer dans les journaux une prétendue lettre de Londres, dans laquelle on justifie les mesures de rigueur prises contre Fournier et Delmas, en accusant le premier d’être un souteneur de tripots et le second d’être une mauvaise tête.

En résumé, il est certain que l’ambition démesurée de Bonaparte a soulevé tous les généraux contre lui. Comme il n’en est pas un qui ne se croie son égal et qui ne prétende avoir les mêmes droits que lui à la première place, il n’en est pas un non plus qui ne regarde son élévation comme un tort qui lui est fait personnellement. Moreau se tient sur la réserve. Cependant on sait qu’il est mécontent et plusieurs propos qu’on lui attribue décèlent beaucoup d’humeur.

Quant à l’opinion publique, depuis longtemps, il n’en existe point. En général le nombre des votans[1] n’a pas été considérable. Les employés et les créatures du gouvernement, la plupart des émigrés rentrés, et un certain nombre de niais qui croient sérieusement faire un acte de souveraineté, ou les peureux qui ne voient de garantie contre les Jacobins que dans la stabilité de Bonaparte sont les seuls dont les noms paraissent sur les fameux registres. L’obligation d’y inscrire son nom et la crainte de les voir un jour changés en listes de proscription ont détourné la plupart des hommes paisibles d’exprimer un vote négatif. Cependant cette considération n’a pas arrêté tout le monde et plusieurs républicains ont affirmé courageusement leur opposition. Quant à la masse du peuple, elle demeure étrangère à toutes les questions politiques. Elle ne demande que du repos et du pain, crie famine, et accuse hautement le gouvernement de la misère publique.


Paris, le 11 juin 1802.

Le but du Premier Consul n’est sans doute pas de se faire aimer, ce qui ne lui serait pas difficile avec son esprit, si son caractère ne contrariait pas son esprit. Les artistes en général ne sont pas ses partisans et l’on ne s’en étonne pas, quand on sait

  1. Pour le Consulat à vie. Les électeurs devaient consigner leur vote sur des registres.