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Les fondemens de cette égalité qui lui donne seule quelque force. Il n’a point rendu la liberté aux opinions religieuses : le Concordat a mécontenté le parti qui fut d’abord son principal appui, et comme il a craint cependant de détacher entièrement ce parti de ses intérêts, les mesures moyennes qu’il a prises ne lui ont pas concilié le parti religieux.

La paix de l’Eglise et des consciences était en effet un de ces bienfaits qu’on croyait ne pouvoir attendre que de la Restauraration. Bonaparte a voulu en avoir la gloire. Mais qu’est-ce, au fond, que le Concordat et les lois sur l’organisation des cultes ? Il ne faut, pour s’en instruire, que lire le discours de Portalis. C’est une transaction passée entre les chrétiens et les philosophes, au nom d’un gouvernement qui n’est ni philosophe ni chrétien. Quel est le résultat de ce compromis absurde dans une matière sur laquelle on ne compose jamais ? Il est aisé de le deviner. Le parti antireligieux est aussi mécontent que si l’on eût mis dans ce rétablissement toute la bonne foi possible. Le parti religieux, qui se confond dans la classe éclairée avec les amis de l’ancien régime, crie, et même beaucoup trop haut, qu’on a forcé la main au pape et que les anciens évêques qui ont accepté de nouveaux sièges se sont déshonorés. Les gens sensés et plaisans rient tout bas de cette comédie religieuse où Portalis joue le rôle de Mme La Ressource. Les dévots qui n’appartiennent à aucun parti politique ne conçoivent pas comment les prélats constitutionnels, d’abord déclarés intrus et schismatiques, deviennent aujourd’hui orthodoxes sans abjuration et participent aux honneurs de l’épiscopat.

Les gens du peuple, du moins à Paris, se croient tous au nombre des âmes fortes. Ils disent, avec les orateurs du gouvernement, que la religion est excellente pour les esprits faibles et pour les étages subalternes de la société. Mais personne ne veut être rangé au nombre de ces esprits, ni appartenir à une de ces classes, et le cordonnier lui-même ne croit la religion nécessaire qu’au savetier. Cela est naturel. Toute religion qu’on veut prouver par son utilité, et non par sa vérité, ne peut être crue. Il faut prêcher ici d’exemple, et non faire des raisonnemens. Mais qui pourrait prêcher d’exemple ? Sera-ce l’homme qui a toujours donné l’exemple contraire, qui rougirait d’annoncer une conversion, qui craindrait même de perdre, aux yeux des hommes dont il est environné, la réputation d’incrédule et de philosophe ? Que