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régime avait une noblesse : la Légion d’honneur la remplacera. Remarquez que ces trois grands actes de reconstruction monarchique, le Concordat, l’Amnistie et la Légion d’honneur, sont postérieurs à la paix générale, qu’ils ont été précédés du retour d’Espagne de Lucien Bonaparte, connu depuis longtemps comme zélé partisan d’une dynastie nouvelle, qu’ils aboutissent à la question du Consulat à vie. Ajoutez à cela que les échos du gouvernement ne cessent de nous rappeler les différens changemens de dynastie, qu’ils cherchent à faire revivre le souvenir de Charlemagne, qu’ils font sans cesse le procès à cette Révolution, à laquelle ils doivent tout, et vous n’aurez plus de doutes sur les projets de nos gouvernans.

Ces projets pourront-ils réussir? Pour raisonner sur cette question, il faut d’abord examiner les dernières opérations indiquées et la manière dont l’opinion les accueille. C’est ce que nous ferons dans la suite de ces lettres. Terminons celle-ci par une simple réflexion : Charlemagne avait pour ancêtres Charles Martel et Pépin : Bonaparte est le premier de sa race.


Paris, le 6 juin 1802.

Une des maximes favorites du gouvernement est de faire pour la nation tout le bien qu’elle pourrait espérer du rétablissement de la maison de Bourbon, afin d’empêcher de souhaiter ce rétablissement. Cette maxime est d’une saine politique. Si la masse du peuple voyait la sûreté personnelle et celle des propriétés suffisamment garanties par la justice du gouvernement, si elle voyait le repos de l’Etat assuré par le dépôt de l’autorité suprême entre des mains fermes qui pourraient la transmettre à d’autres, sans de nouvelles révolutions, si les opinions religieuses et politiques jouissaient d’une certaine liberté, il est clair que cette même masse, indifférente d’ailleurs à tout ce qui ne la touche pas, perdrait bientôt le souvenir de l’ancien état de choses, ou ne s’en souviendrait que pour se réjouir de n’être plus blessée par l’éclat des distinctions nobiliaires, car les douceurs de l’égalité sont peut-être le seul fruit de la Révolution que goûte encore la multitude. Mais il n’est pas facile de donner au peuple toutes ces garanties.

Usurpateur et soutenu par des hommes enrichis de spoliations, Bonaparte doit être ombrageux et ne peut se livrer aux actes que commanderait la justice. Tout ce qu’il fait pour s’affermir attaque