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vœux redoute « l’ingérence du gouvernement dans les affaires maçonniques[1], » et la proposition est enterrée. En 1897, M. le colonel Sever réclame une délégation permanente des loges, qui surveillerait le Conseil de l’ordre et le groupe maçonnique de la Chambre : il explique qu’il y a deux conceptions de la maçonnerie : ou bien elle doit se terrer, ne pas se montrer, agir individuellement par chacun de ses membres ; ou bien elle doit s’afficher toujours et partout, tenir haut et ferme son drapeau, ne se point dissimuler, faire bloc au contraire; et le convent, par 223 voix contre 30, évince M. Sever et marque ainsi ses préférences pour l’occultisme politique[2]. Vous avez peur, leur crie en substance le colonel : « Supposer qu’on pourrait fermer nos temples sous la République, c’est là une idée que nous ne pouvons pas avoir[3]. » Mais le convent se rappelle les propos d’un juriste, M. Poulie, conseiller à la Cour de Poitiers, qui disait en 1894 : « Le chef de l’Etat (Napoléon III), par un décret, nomma le maréchal Magnan grand maître du Grand Orient. Nous sommes donc autorisés… Il est vrai que le chef de l’Etat actuel peut supprimer cette autorisation, et, avec sa simple signature et celle d’un ministre, fermer toutes les loges… Nous ne sommes que des tolérés[4]. »

Autorisés ou tolérés, un peu plus que tolérés ou un peu moins qu’autorisés, les francs-maçons, en France, sont ce qu’ils veulent et font ce qu’ils veulent, et laissent en toute sécurité se ramifier et s’épanouir, se projeter en avant et se replier sur eux-mêmes, diverger et se croiser, les innombrables tentacules qui composent l’organisation maçonnique. Deux facteurs sont en présence. D’une part, un pays où personne n’est responsable, où la représentation nationale, comme ici même M. Charles Benoist l’a si fortement montré, n’est pas et ne cherche pas à être l’image vraie du peuple, où le mot de démocratie, — un beau mot pourtant, et bien ample et bien large, — se rétrécit à force d’être prodigué, et est confisqué par une politique d’exclusivisme, où la démocratie réelle, qui appellerait le peuple à s’occuper lui-même et par lui-même de la chose publique, n’est ni pratiquée ni même peut-être entrevue, où

  1. B. G. O., août-sept. 1894, p. 211.
  2. C. R. G. O., 20-25 sept. 1897, p. 118-146, notamment 121-122.
  3. C. R. G. O., 20-25 sept. 1897, p. 153.
  4. B. G. O., août-sept. 1894, p. 212 et 215. D’après le Bulletin maçonnique de la Grande Loge Écossaise, 1880. p. 17, les douze loges qui formèrent cette Grande Loge furent spécialement autorisées par un décret de M. Lepère du 12 février 1880 ; ce décret figure-t-il aux documens officiels ?