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donna le titre de Compte rendu; il demeura tout aussi volumineux, mais cessa d’être strictement périodique et l’on inscrivit, sur la couverture, qu’il n’était point destiné à la publicité[1]. Une autre fois, en 1897, le Conseil prit l’habitude de refuser les noms et les adresses des maçons, que d’autres maçons lui demandaient; et cette conduite fut, au convent, l’objet d’une très vive discussion. D’une part, on ne voyait pas « l’intérêt qu’il peut y avoir à publier les noms des frères qui ne pourraient plus servir notre cause si on savait qu’ils appartiennent à notre institution ; » d’autre part, un fonctionnaire des chemins de fer de l’Etat racontait avec quelque justesse que, son chef de service allant à la messe, il serait bon de savoir si le directeur général des chemins de fer de l’Etat est un maçon; non moins franchement, un autre disait qu’ « il est souvent nécessaire de savoir si un nouveau préfet ou un nouvel inspecteur d’Académie sont maçons; » un troisième, qu’en vue des élections prochaines ces renseignemens auraient leur prix[2]. Bref, on discuta longuement, nulle mesure générale ne semble avoir été prise ; mais d’ores et déjà, dans les comptes rendus des Congrès des Loges de l’Est, les noms des orateurs sont absens, et depuis quelques années, enfin, comme vient de le montrer M. Emile de Saint-Auban dans un livre où les traits pénétrans abondent[3], la maçonnerie s’efforce de créer une jurisprudence d’après laquelle il serait interdit de divulguer dans la presse la qualité maçonnique de l’un de ses membres si l’on a, dans quelque paragraphe ou article connexe, maltraité la maçonnerie elle-même.

Il paraît résulter des débats des derniers convens, que deux courans existent dans l’ordre maçonnique : les uns ont la passion du secret, et c’est le cas habituel pour les membres du Conseil de l’Ordre; les autres commencent à sentir le goût d’une certaine parade en public ou le besoin d’une constitution moins oligarchique ; et les convens, le plus souvent, donnent raison aux premiers contre les seconds. En 1894, MM. Poulie, Lucipia, Pochon, de Heredia, Delpech, Dequaire, proposent de faire reconnaître le Grand-Orient comme société d’utilité publique : « Nous avons des maçons au Sénat, à la Chambre, au Conseil d’État, déclare M. Poulie; on peut tenter la chose[4] » ; mais la commission des

  1. C. R. G. O., 20-25 sept. 1897, p. 113.
  2. C. R. G. O., 20-25 sept. 1897, p. 184-193, passim.
  3. Le Silence et le Secret, Paris, Pedone, 1899.
  4. B. G. O., août-sept. 1894, p. 216.