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encore cet « échec immérité ; » bref, l’installation de M. Félix Faure à l’Elysée avait été une défaite de la fraction maçonnique. Mais la maçonnerie, par un acte de haute politique, transforma sa défaite en victoire. Elle retrouva, dans le passé de M. Félix Faure, certains liens d’initiation contractés au Havre, en 1865, à la loge l’Aménité[1], et le souvenir de conférences qu’il avait faites plus tard, dans cette loge, sur les budgets contemporains[2] ; elle allégua ces deux faits et profita de l’inaltérable courtoisie du Président de la République, pour envahir les préfectures où l’amenaient ses voyages successifs. À Clermont- Ferrand, en mai 1895, M. Blatin lui présentait les délégués de soixante-cinq loges[3] : on ébruitait la nouvelle dans la presse profane, avec une habileté consommée; et quelques semaines après, dans une grande tenue maçonnique à Neuilly, un orateur, exploitant l’incident de Clermont, qualifiait M. Félix Faure de « maçon fidèle et actif, » et encourageait les fonctionnaires à être « maçons comme le Président de la République[4]. » Cet orateur n’était autre que M. Léon Bourgeois. Devenu ministre, il sut organiser, autour des voyages de M. Félix Faure, de vraies mobilisations maçonniques : tantôt les frères offraient au Président un « bijou[5]; » tantôt ils le venaient saluer, en grand nombre, à des heures matinales que le sommeil, à défaut du protocole, eût suffi pour interdire. La maçonnerie se faisait inopportune et importune, afin de laisser croire à son règne; et l’on pouvait se demander si M. Bourgeois n’espérait point la faire régner, par une double intimidation, sur la France et sur l’Elysée, et si l’on ne rêvait pas d’agir avec M. Félix Faure comme la légende reprochait à la Congrégation d’avoir agi avec Charles X.

Mais ces aspirations furent déçues : les « cléricalismes coalisés, » que dénonçaient plus tard, à la loge les Trois Frères, de Bergerac, MM. Combes et Delpech[6], l’emportèrent sur le cabinet Bourgeois; en mai 1896, M. Méline prit le pouvoir. C’est M. Dequaire qui, cette année-là, présidait le convent de septembre ; et le toast savamment étudié par lequel il porta la santé de M. Félix Faure laissait pressentir l’écroulement d’un songe. Il

  1. B. G. O., avril 1895, p. 28.
  2. Congrès maçonnique international du Centenaire, Compte rendu, p. 131.
  3. B. G. O., mai 1895, p. 62-63.
  4. B. G. O., juin 1895, p. 95-97.
  5. B. G. O., mars-avril 1896, p. 18-19.
  6. C. R. G. O., mai-juin 1897, p. 21.