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Roi : « Monseigneur le duc de Bourgogne sortit de l’appartement avec le Roi et ne demeura point au jeu. » Voulait-il, par son départ, protester contre cette table de lansquenet dressée dans le cabinet du Roi, ou se soustraire à une tentation qu’il savait forte encore chez lui et à laquelle il devait succomber plus d’une fois, cela est difficile à deviner. Mais cette contrainte perpétuellement exercée sur lui-même montre à quel point il était demeuré l’élève docile de Fénelon.


V

Ce n’est pas que rien fût cependant négligé pour détruire cette lointaine et mystérieuse influence, d’autant plus difficile à combattre qu’elle ne se traduisait au dehors par aucune communication à laquelle il fût possible de mettre obstacle, et qu’elle était tout intérieure, faite de souvenirs, de tendresse et de reconnaissance. Assurément le nom du proscrit n’était jamais prononcé dans les entretiens du grand-père et du petit-fils. Mais Louis XIV était trop clairvoyant pour ne pas se rendre compte que le duc de Bourgogne avait fait un sanctuaire dans son cœur à son ancien maître, et, prévenu comme il l’était contre Fénelon, il ne devait pas souffrir sans impatience cette résistance sourde et inébranlable qui se dissimulait derrière un silence plein de respect. C’est dans cette impatience qu’il faut chercher en partie la cause de l’orage imprévu qui vint fondre à nouveau sur le petit troupeau et faillit en disperser les restes. Saint-Simon en donne une tout autre explication ; mais, pour être beaucoup plus compliquée et ténébreuse, nous ne la croyons pas plus vraisemblable.

A en croire notre bilieux auteur, Mme de Maintenon aurait été encore cause de tout le mal. Elle venait tout récemment de donner en mariage sa nièce chérie, Mlle d’Aubigné, au jeune comte d’Ayen, fils aîné du duc de Noailles. Entraînée par « les grâces de la nouveauté auxquelles elle ne résistait jamais, » elle aurait entrepris de favoriser les vues ambitieuses du chef de la maison où sa nièce était entrée. Or le duc de Noailles n’aspirait à rien moins qu’à remplacer Beauvillier dans les hautes fonctions qu’il occupait, non seulement dans celles de chef du Conseil des finances et de ministre d’Etat, mais dans celles de gouverneur des Enfans de France. C’était de cette place enviée qu’il importait avant tout de