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particulier, nous est vantée comme un modèle de la façon dont le roman peut animer, ressusciter l’histoire.

Avons-nous besoin d’insister sur ce qu’ont d’enfantin, au point de vue français, cette visite et tout le reste de la nouvelle ? L’aventure du gant, le rêve de Lauenbourg dans l’antichambre de Wallenstein, la ressemblance du duc et de la jeune fille, ce sont autant d’artifices que nous rougirions d’employer dans le plus médiocre des romans-feuilletons. Et non seulement la fable est banale, gauche, puérile, mais nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’un romancier n’a pas le droit de toucher aussi légèrement à d’aussi graves sujets. Les figures de Gustave-Adolphe et de Wallenstein ne sont pas faites pour servir de prétexte à une intrigue dont l’invraisemblance rejaillit sur elles : sans compter que la manière dont le roi de Suède nous est présenté nous donne plutôt l’idée d’un gros bourgeois allemand, sentimental et naïf, que du terrible héros d’Ingolstadt et de Lützen. Le fait qu’un certain Leubelfing, — ou Lasbelfin, comme l’appellent les Mémoires de Richelieu, — a été en effet page de Gustave-Adolphe, et a assisté à ses derniers momens, un tel fait ne saurait suffire à justifier le romancier de la liberté avec laquelle il a altéré la vérité historique, et prêté à des hommes fameux un rôle qui risquait de les rendre ridicules.


Angela Borgia, le dernier roman de Conrad-Ferdinand Meyer, repose sur une base historique plus solide. M. Pasquale Villari raconte que Lucrèce Borgia avait près d’elle, à Ferrare, une de ses parentes, Angiola Borgia, dont deux des frères du duc Alphonse étaient devenus amoureux. « L’un de ces frères était un bâtard, Don Giulio, l’autre était le cardinal Hippolyte d’Esté. Celui-ci, qui avait été évêque pendant sept ans, et qui était cardinal depuis quatorze ans, préférait à ses devoirs religieux la chasse, les femmes, et le vin : il est mort à quarante et un ans, pour avoir trop bu d’un vin doux qu’il avait dans sa cave. » Angiola Borgia ayant un jour dit qu’elle ne pouvait résister au charme des beaux yeux de Don Giulio, le cardinal fit crever les yeux à son frère. M. Villari ajoute que Don Giulio ne perdit cependant qu’un seul de ses yeux, et que, par vengeance, il complota avec son troisième frère, Don Ferrante, la mort du cardinal Hippolyte et du duc Alphonse. Le complot fut découvert. Don Giulio s’enfuit à Mantoue, Don Ferrante fut jeté dans un cachot, après qu’Alphonse, de sa main, lui eût arraché un œil, « afin de le rendre pareil à son complice. »

D’autre part, on lit dans Villari que le poète florentin Hercule Strozzi fut trouvé assassiné, le 6 juin 1508, dans une rue de Ferrare, et qu’on