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sans se démentir être aussi le coloriste des plus fades paysanneries. Mais je pense bien que nulle part moins que dans les Truands M. Richepin ne s’était soucié de mettre quelque accord entre la qualité de ses personnages et celle de leurs sentimens et de leurs actes, et que rarement on avait vu mieux éclater la disconvenance entre le cadre d’un drame et le drame lui-même.

Ce cadre, il est vrai que M. Richepin nous le donne à imaginer plutôt qu’il ne nous le montre. Il se peut que la description de la truanderie du XVe siècle prêtât à quelque évocation pittoresque dans le goût romantique. Elle eût été le prétexte d’un bariolage amusant. La verve d’un peintre en belle humeur y eût prodigué les contrastes, les brutalités de touche, les empâtemens et les reliefs. Et encore l’historien des mœurs, l’analyste des âmes eût trouvé là matière à exercer sa sagacité. Ce qui donne à ces truands accès dans la poésie, c’est qu’un grand poète s’est affilié à leur bande. Comment, grâce à quel état social, dans quelle atmosphère a pu se réaliser le mélange d’ignominie et de naïveté qui est au fond de l’âme de Villon et qui, avec nos idées d’aujourd’hui, dans notre société aux compartimens réguliers, nous apparaît comme une énigme indéchiffrable ? Mais M. Richepin n’a pas même essayé cette résurrection de l’époque et du milieu qu’il avait choisis. Tout son effort a consisté à nous montrer au premier acte, dans une salle de l’Université envahie par une bande joyeuse, des figurans qui se trémoussent et se battent les flancs pour avoir l’air drôle.

Le héros de la pièce est le roi des Truands, Robin Costeau. Son prestige est fait tout à la fois de la séduction qu’exerce sa personne et de la vénération qui s’attache à ses vertus. Il est brave et prudent, hardi et de bon conseil, prodigue de son sang et ménager de la vie de ses hommes. Célèbre par ses conquêtes, il est surtout un conquérant des cœurs. Il n’en est plus à compter ses bonnes fortunes, et elles ajoutent à sa gloire un rayonnement incomparable. Il est celui que toutes les femmes ont aimé. Il a beau être sur le retour et se sentir un peu fourbu, c’est à lui que vont encore les soupirs des plus jeunes poitrines. C’est qu’il a en amour des délicatesses infinies et telles qu’on peut les attendre de son caractère chevaleresque. Il est homme à résister à la Mignote, une gentille enfant, toute haletante de passion et qui s’offre à lui, si tentante, sous les ponts. On ne sait pas assez où la réserve va se nicher, et c’est par erreur qu’on la cherche sous les lambris dorés de nos maisons. Amant scrupuleux, Robin Costeau est un époux tendre, patient, compatissant. Il a pour ménagère une certaine Marion l’Idole, belle jadis, hideuse maintenant, ivrognesse avec des accès de