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sauf à ce monde conventionnel du vaudeville. Ce sont de purs fantoches, grimaçant et gesticulant ; et c’est leur seule excuse. Au reste, l’auteur, ne se faisant aucune illusion sur leur valeur, ne s’en est servi que comme des pantins indispensables dont il avait besoin pour amener la situation dans laquelle réside tout le comique de son œuvre. Cette situation essentielle, vers laquelle tout converge et pour laquelle tout l’ouvrage a été fait, est celle qui occupe le quatrième acte, et qu’il faut admirer dans sa beauté savoureuse et compliquée. Nous sommes chez l’institutrice Léontine Falempin, résolue à rester honnête, car elle veut se faire épouser, mais serrée de près à la fois par le vieux marcheur Labosse et par son neveu. C’est la nuit. Elle enferme le neveu dans le grenier, l’oncle dans sa chambre à coucher. Et, la Providence lui ayant envoyé justement ce soir-là son amie, Pauline, la fille galante, elle prie Pauline de se substituer à elle auprès du neveu d’abord, auprès de l’oncle ensuite ; les choses se passent à la satisfaction de tous, grâce à l’obscurité qui est profonde et à l’expérience de Pauline qui ne l’est pas moins. C’est pour arrivera ce jeu de l’amour, du hasard et des ténèbres que l’auteur a disposé ses combinaisons laborieuses et toutes les ressources d’une stratégie savante. Il a mis tout son art à faire accepter du public une situation d’une grivoiserie inédite. Mince mérite, puisque le public est prêt d’avance à tout accepter !

Il faut savoir gré aux acteurs des Variétés, surtout à Mlle Jeanne Granier et à M. Brasseur, d’avoir, autant qu’il se pouvait, sauvé, par la rapidité et la rondeur de leur jeu, les rôles fâcheux qui leur étaient confiés.


Le mérite éminent de M. Richepin, c’est une habileté de versificateur vraiment merveilleuse et que peu d’écrivains aujourd’hui possèdent au même degré. A toute heure, et sur n’importe quel sujet, il est prêt à jeter un manteau de rimes éclatantes. Les sujets changent, la forme reste la même, aussi souple, aussi abondante, d’une égale perfection extérieure. C’est cette habileté superficielle qui nuit à M. Richepin ; elle le dispense de s’installer à l’intérieur même des sujets qu’il traite et de les étudier par le dedans. Elle enlève ainsi à son œuvre, lyrique ou dramatique, tout accent de sincérité et de conviction. C’est pourquoi, lorsque, au temps des Blasphèmes, il montrait le poing au ciel, adjurant Dieu le père qu’il le foudroyât, nul ne fut effrayé des roulemens d’yeux et des effets de torse de ce brave homme de blasphémateur. C’est pourquoi le farouche peintre des Gueux a pu