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fais. » Elle pleurait encore, mais de tristesse, quand sa jeune tante, la fille de Madame, demi-sœur de sa mère, de neuf années seulement plus âgée qu’elle, partit pour épouser le duc de Lorraine. Tout le monde fut frappé à la Cour de l’émotion que témoigna la duchesse de Bourgogne au moment des adieux. « Les pleurs recommencèrent de part et d’autre, rapporte Dangeau, si bien qu’à peine purent-elles se parler, et Madame la duchesse de Bourgogne sortit de chez Mademoiselle sans s’asseoir, et entra chez Mme de Maintenon pleurant encore[1]. » Madame elle-même, si peu de bienveillance qu’elle témoignât d’ordinaire à la duchesse de Bourgogne, fut touchée de cette sensibilité. « La duchesse de Bourgogne, écrivait-elle à la duchesse de Hanovre, a enfin prouvé qu’elle a un bon naturel, car elle a été triste au point de ne pouvoir manger. Elle n’a fait que pleurer amèrement après qu’elle eut dit adieu à sa tante[2]. »

Ainsi le cœur n’était pas gâté. Il n’en était pas de même des manières. La petite Savoyarde était arrivée en France plutôt réservée, pétulante, mais timide, trouvant des mots heureux, mais parlant assez peu. Avec le temps, elle s’était peu à peu enhardie, et, encouragée par la faveur dont elle se sentait l’objet, elle avait fini par perdre toute modestie dans ses façons d’être. Telle est l’accusation que Madame porte contre elle dans sa correspondance. Il est à croire que la sévérité de son jugement ne laissait pas d’avoir quelque fondement : « Ils (le Roi et Mme de Maintenon) gâtent absolument la duchesse de Bourgogne, écrivait-elle à la duchesse de Hanovre, au mois d’octobre 1698. En voiture, elle ne reste pas un instant en place ; elle s’assied sur les genoux de tous ceux qui se trouvent dans le carrosse, et elle voltige tout le temps comme un petit singe. Tout cela, on le trouve charmant. Elle est maîtresse absolue dans sa chambre. On fait tout ce qu’elle veut. Quelquefois l’envie lui prend d’aller courir à cinq heures du matin. On lui permet tout et on l’admire. Un autre donnerait le fouet à son enfant s’il se conduisait de la sorte. Ils se repentiront, je crois, avec le temps, d’avoir ainsi laissé faire à cette enfant toutes ses volontés. » Et dans une autre lettre : « Mon Dieu, qu’à mon avis, on élève donc mal cette duchesse de Bourgogne ! Cette enfant me fait pitié. En plein dîner, elle se met à chanter ; elle danse sur sa chaise, fait semblant de saluer le monde, fait les grimaces les

  1. Dangeau, t. VI, p. 439.
  2. Correspondance de Madame, trad. Jæglé, t. I, p. 183.