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que pendant l’hiver qui vient de s’écouler, quatre officiers ont été dans un désespoir tel qu’ils se sont tués[1], » et elle ajoute : « Ils auraient mieux fait de s’amuser aux passe-temps et aux petits jeux allemands, et de boire du lait. » Sans condamner la duchesse de Bourgogne aux petits jeux allemands et à boire du lait, il eût été sage, assurément, de ne point chercher à faire naître chez elle ce goût funeste et de la tenir à l’écart même de la tentation. Il semble que ce fût précisément le contraire qu’on se proposât. Non seulement des jeux de hasard étaient très fréquemment organisés pour elle chez Mme de Maintenon, un entre autres appelé la rafle, qui avait pour but de lui faire gagner de fort jolis petits lots, mais très souvent le Roi la menait lui-même assister au jeu effréné des courtisans. Chez la princesse de Conti, il lui fut une fois permis de prendre part au lansquenet. Si le goût du jeu se développa chez elle, par la suite, au point de lui créer de sérieux embarras et de lui mériter de justes reproches, c’est bien sur ceux qui avaient charge de surveiller et de compléter son éducation qu’en doit retomber la responsabilité première.


III

Que pensait, au fond, de cette éducation, Mme de Maintenon, la grande pédagogue du temps ? Assurément les procédés en étaient fort différens de ceux qu’elle employait, alors que la petite princesse vivait exclusivement sous sa tutelle, et qu’elle la tenait si soigneusement à part, même des plus innocens plaisirs. Mais qu’elle blâmât ou approuvât ce genre de vie si nouveau, il est impossible d’en rien savoir. Jamais, ni dans sa correspondance de cette époque, ni dans ses conversations, telles qu’elles nous ont été rapportées, elle n’exprime une opinion sur l’existence singulièrement vide et frivole qu’on faisait mener à cette princesse de treize ans. « Je rame pour amuser Mme la duchesse de Bourgogne, » dit-elle une fois aux demoiselles de Saint-Cyr, et c’est tout. Il est difficile cependant de croire qu’en personne sagace, elle n’aperçût pas le danger de cette existence. Mais, soit faiblesse, soit politique, elle ne semble pas avoir eu d’autres préoccupations que de conserver le cœur de l’enfant et de lui rendre la vie agréable.

  1. Correspondance de Madame, trad. Jæglé, t. I, p. 198.