Heureuse enfant, qui croit que le bonheur dépend toujours de la volonté ! À ce moment de sa vie, cependant, elle n’avait pas tout à fait tort, car son bonheur dépendait surtout du Roi, et sa volonté bien arrêtée était de lui plaire. Elle y réussissait. Moins que jamais le Roi pouvait se passer d’elle. Dans cette vie de jeune femme, si ces mots peuvent déjà s’appliquer à elle, beaucoup plus grande était la place tenue par le grand-père que par le mari. « Le Roi avoit pour elle toute l’amitié et toute la complaisance imaginable, » dit Sourches, dans une note de ses Mémoires[1], et, derrière cette discrète remarque, il est aisé de découvrir l’étonnement que causaient aux habitués de Versailles cette amitié et cette complaisance. Un tel renouveau de tendresse chez le vieux monarque devait surprendre en particulier ceux qui ne l’avaient point connu durant ses années romanesques, et qui avaient le droit d’ignorer la part de sensibilité mêlée de tout temps à son égoïsme. Tous les jours, il fallait qu’il vît la duchesse de Bourgogne. Demeurait-il au lit parce qu’il était malade ou qu’il avait pris médecine, il la faisait venir le matin dans sa chambre. Etait-ce, au contraire, la Princesse qui était retenue chez elle par quelque indisposition, comme cela arrivait parfois (elle était entre autres fort sujette aux fluxions, ayant les dents très mauvaises), c’était le Roi qui l’allait surprendre le matin dans son lit. Tous les jours, il voulait qu’elle se promenât avec lui à pied ou en carrosse. Si le conseil se prolongeait, elle venait gratter à la porte, et le Roi comprenait cet appel que nul autre ne se serait permis. Pour que les promenades ne parussent point, à l’enfant qu’elle était encore, trop monotones, il s’ingéniait à les relever par quelques divertissemens. C’était le plus généralement des collations qui étaient organisées dans le parc de Marly, et auxquelles la duchesse de Bourgogne prenait part avec quelques-unes des dames désignées pour être de ses plaisirs. Cependant l’amusement favori du Roi était de la conduire à la chasse à courre, dans une petite voiture à deux places et à quatre chevaux, qu’il avait fait faire tout exprès. Débarrassés des entraves de l’étiquette, grand-père et petite-fille couraient ainsi de compagnie, à Marly ou à
- ↑ Sourches, t. VI, p. 220.