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la renaissance italienne, sa jeune influence n’égalait pas encore la nôtre ; mais l’instinct les obligeait à ménager la France, en ménageant la source la plus féconde de leurs revenus. Ils continuèrent donc à abriter leurs préférences italiennes sous notre drapeau. C’est alors que M. Crispi, impatient d’auxiliaires plus dociles, ouvrit dans tout le Levant des écoles laïques, et tenta de prendre influence sur les populations par des instituteurs qui leur distribueraient les trésors de la « raison moderne. » Confondant, là comme ailleurs, le grand avec le démesuré, il prit dans les finances durement éprouvées jusqu’à 1 600 000 francs par an pour payer cette ambition. L’œuvre vient d’être jugée par M. de Gubernatis en un article assez malveillant pour la France, et que cette prévention même rend plus décisif contre M. Crispi : « Ces écoles laïques italiennes ne produisent rien de bon : elles sont inégales aux institutions rivales qui prospèrent dans le pays, et le gouvernement, au lieu d’accroître son prestige, le diminue, à maintenir dans ces écoles des maîtres sans aptitude, souvent peu cultivés, tapageurs, parfois irréligieux et anarchistes[1]. »

De tels représentans de la patrie n’étaient pas faits pour réconcilier les Franciscains avec l’Italie officielle. Mais, à travers la royauté usurpatrice et révolutionnaire, les moines persistent à aimer une Italie conçue sans péché, un peu comme, à travers les hontes de notre humanité misérable, ils admirent sa grandeur rachetée et sa vocation immortelle. Le gouvernement français, dont ils continuent à accepter les secours, a le double tort d’être à leurs yeux aussi anticlérical que le gouvernement italien et de n’être pas italien. Entre eux et lui le protectorat entretient une de ces unions que la conscience défend de rompre, que l’intérêt commande de maintenir, mais que nulle tendresse ne vivifie, que des malentendus accumulés rendent plus douloureuses, et où chacun se croit victime. Et, le jour où le gouvernement italien se réconcilierait avec la Papauté, l’Eglise, pour nous conserver nos droits, aurait à combattre, dans tout l’Orient et à Rome même, ses fils les plus proches par la vocation et le sang.


L’Autriche mène moins de bruit de ses ambitions, mais elle ne les oublie pas. Elle a pour maxime de faire ses affaires sans se faire d’affaires. Tout doucement elle a commencé à recruter sa

  1. Voyez Il patriarcato di Gerusalemme e la Custodia di Terra Santa, par M. Angelo de Gubernatis, dans la Nuoua Antologia du 16 novembre 1898.