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Duc de Berry riait si fort qu’il faillit tomber de sa chaise. La Duchesse de Bourgogne, qui sait mieux dissimuler, se tint fort bien au début ; elle riait peu et se contentait de sourire, mais, de temps en temps, elle s’oubliait et se levait de sa chaise pour mieux voir ; elle aussi était bien plaisante en son genre[1]. » Quelque temps après, le 28 décembre, elle assistait encore à une représentation de Bajazet. « C’est, dit Dangeau, la première comédie sérieuse que Mme la Duchesse de Bourgogne ait vue, » et il ajoute : « Le Roi a permis à Mme la Duchesse de Bourgogne d’aller à la Comédie toutes les fois qu’elle en aurait envie[2]. »

Elle n’avait point encore été à l’Opéra. Ce fut son beau-père qui se chargea de l’y mener, car il y était fort assidu. Le 9 décembre, une première partie avait manqué. Elle avait été souffrante, et le duc de Bourgogne, conduit par Monseigneur, y alla seul, pour la première fois de sa vie également. La partie fut reprise le 27 janvier 1699. Le matin, elle avait donné audience à l’ambassadeur de Venise, qui venait prendre congé. Mais, le soir, Monseigneur la mena à l’Opéra, entendre le Carnaval de Venise, qui était alors la pièce à la mode. Les paroles étaient de Regnard, la musique de Campra. Dangeau ne dit point si elle y goûta beaucoup de plaisir. Sans en rien savoir, nous soupçonnons qu’elle n’aimait pas beaucoup la musique.

En revanche, elle aimait la danse à la folie. On ne pouvait lui faire de plus grand plaisir qu’en lui offrant un bal. Mme Dunoyer raconte même à ce propos une histoire qui, vraie ou fausse, est assez plaisante. Un jour que la duchesse de Bourgogne devait aller à un bal qui lui était offert par la Chancelière, Mme de Ponchartrain, elle envoya le matin de bonne heure un carrosse à six chevaux à la maison professe des Jésuites chercher son confesseur, le Père Lecomte. Le bon Père arrive, tout étonné, et lui demande pourquoi elle veut se confesser dans un temps destiné à tout autre chose : « Non, mon Père, ce n’est pas pour me confesser que je vous ai demandé aujourd’hui, répond la Princesse avec vivacité, mais afin que vous me dessiniez promptement un habillement de Chinoise. Je sais que vous avez été à la Chine, et je voudrois me masquer ce soir à la manière de ce pays-là. » « Le confesseur, continue Mme Dunoyer, avoua ingénument qu’il avoit eu plus de commerce avec les Chinois qu’avec les

  1. Correspondance de Madame, Duchesse d’Orléans, trad. Jæglé, t. I, p. 185.
  2. Dangeau, t. VI, p. 486.