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d’enlever aux Grecs le siège dernier et suprême, celui de Constantinople. Alors, discrédité par l’avènement de ces héritiers qui ne représenteront ni l’espérance de l’avenir comme les Slaves, ni, comme les Grecs, le prestige du passé, le patriarcat œcuménique achèvera son déclin. Si les Grecs dépossédés lui refusent obéissance pour ne pas se soumettre aux Arabes, l’orthodoxie sera parvenue au terme de sa décomposition en nationalités. Si les Eglises orthodoxes, après s’être séparées pour garantir l’autonomie des races, ne se résignent pas à la faiblesse que cette division inflige à leur foi commune, et sentent, à l’exemple de Byzance leur mère, le besoin d’appuyer leurs espoirs religieux sur une force humaine, elles trouveront seulement dans le peuple russe la prépotence politique et le zèle confessionnel. A Moscou, protecteur de ces églises nationales ; à Constantinople, maire du palais auprès de patriarches fainéans qui devront leur trône à son influence, le Russe rassemble à son profit les élémens dispersés de l’influence grecque, prépare une unité nouvelle, jusqu’au jour où dans Constantinople délivrée du Turc, un patriarche slave, renouant la chaîne des temps, achèvera, sur l’autel de Sainte-Sophie, la messe interrompue par Mahomet II.

Non contente de se faire, parmi les orthodoxes arabes, une clientèle religieuse, la Russie étend des prises plus complètes sur la Palestine et la Syrie.

La visite aux Lieux saints est la manifestation favorite de la piété orthodoxe. Aucune race n’envoie au tombeau du Christ autant de pèlerins que la Russie ; nuls pèlerins n’y apportent une telle offrande de foi, de fatigues, de privations, d’humble amour. Ils forment presque à eux seuls les foules dont est fière et par lesquelles s’enrichit à Jérusalem l’Eglise grecque. La Russie a voulu d’abord mettre à part les siens, et que leur piété tournât à son propre honneur. Peu après la guerre de Grimée, une « Société russe de Palestine » était créée, et elle obtenait du Sultan, aux portes de Jérusalem, un territoire assez vaste pour contenir une petite ville. Et cette ville aussitôt élevait ses édifices. D’abord des baraquemens où se succèdent les pieuses multitudes des moujicks : là ils trouvent l’abri, une planche pour s’étendre, le samovar bouillant, l’icone devant laquelle une petite lampe brille comme une lueur lointaine d’étoile. Non loin, trois constructions, qui paraissent basses tant elles sont longues, alignent leurs rangées de fenêtres aux volets verts : ce sont trois