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aujourd’hui l’Église russe ? Elle ne l’emporte pas moins par le zèle. La confiance tranquille de la race en l’avenir, l’autorité d’un gouvernement qui mène sans la nation les affaires de l’Etat, laissent au peuple russe le calme et le temps des pensées pieuses et des songes mystiques. Ce peuple a la simplicité de cœur qui rend la foi facile, nécessaire, et profonde. Son clergé, sans échapper aux infirmités congénitales de toutes les Églises orthodoxes, est plus exemplaire, plus docte, plus vivant que le clergé grec. Voilà pourquoi la Russie ne se contente plus d’être le bras armé, et pourquoi elle veut devenir la tête dirigeante de l’Eglise orthodoxe.

L’influence religieuse s’exerce à la fois par le clergé séculier et par le clergé régulier : la Russie a entrepris de dominer l’un et l’autre. Le centre de l’influence monastique est le mont Athos, enclave de chrétienté dans le territoire turc, asile dont l’indépendance est garantie par l’Europe, république de couvens, résidence de moines souverains. Par un zèle dont on ne sait s’il faut admirer davantage la spontanéité ou la discipline, les Russes attirés vers la vie religieuse ont appris les chemins de ces monastères. Ils font des libéralités, se donnent eux-mêmes, poussent leurs compatriotes au gouvernement des communautés. A l’heure présente, ils sont déjà, s’il faut en croire les Grecs, les maîtres au mont Athos, et, sur treize mille religieux qui y vivent, l’on compterait dix mille Russes. Les Russes ne peuvent supplanter de même les Grecs dans le clergé séculier, et prétendre aux dignités épiscopales. Exercées sur le territoire turc et sur des peuples turcs, elles ne sauraient appartenir qu’à des sujets turcs. Mais, en Asie, domaine aujourd’hui principal du patriarcat œcuménique, et en Afrique, les orthodoxes de race hellène sont une minorité ; la majorité appartient aux orthodoxes de race arabe. La communauté de foi n’empêche pas que les Arabes supportent mal, laïques d’être traités en inférieurs, prêtres de demeurer aux derniers rangs du sacerdoce. C’est ce mécontentement que la Russie a changé en rivalité. Prenant parti pour les clergés d’origine arabe, elle les a soulevés contre le clergé hellène et son monopole des hauts emplois. La brigue des sièges épiscopaux est devenue un conflit de nationalités et elles disputent déjà entre elles les patriarcats d’Antioche, d’Alexandrie et de Jérusalem. Quand sur ces trônes religieux seront assis des patriarches de race arabe, il deviendra aisé à ceux-ci