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apocryphes et frauduleux. Les Grecs continuèrent à opposer leur inertie, leurs ruses et leur argent. Ils obtinrent leur récompense en 4757. La France, par un de ces refroidissemens chroniques auxquels elle exposait son amitié avec la Turquie, s’était, sans s’inquiéter de son alliée, unie à l’Autriche. Le Sultan irrité enleva la plupart des Lieux saints à la garde des Latins pour la remettre aux Grecs. Depuis, la France a tenté, avec une fermeté décroissante et toujours vaine, de recouvrer ses droits. La Russie, dont l’influence occulte avait tout conduit, jugea bientôt sans danger d’avouer son œuvre en la consolidant ; par le traité de Kaïnardji elle obtint, en 1774, de la Porte, le protectorat sur tous les orthodoxes soumis à la domination ottomane. C’était prendre d’un coup, et dans tout l’Orient, le pas sur la France. Tandis qu’en effet notre patronage sur les catholiques ottomans avait été conquis par alluvion, grâce aux apports insensibles de nos initiatives et à la nonchalance des Turcs, le patronage de la Russie sur les Ottomans orthodoxes était légitimé par l’aveu solennel du Sultan ; et, tandis que nous exercions une autorité de fait sur un million d’hommes, elle acquérait une autorité de droit sur vingt millions. En vain ce droit lui a-t-il été aussitôt repris par la Porte et contesté par l’Europe : obtenu, la Russie n’a jamais renoncé à l’exercer, fallût-il le soutenir jusqu’à la guerre. La seule qui ait été malheureuse, en 1854, n’a pas troublé l’orthodoxie dans ses prérogatives les moins légitimes, puisque la France victorieuse eut l’étrange générosité de ne pas réclamer contre la spoliation commise, un siècle avant, par les Grecs ; et c’est depuis lors que la Russie, loin de suspendre son dessein, l’a poursuivi avec le plus de suite et laissé voir tout entier.

Il ne s’agit plus seulement pour elle de mettre son influence politique au service du culte orthodoxe : elle travaille à établir dans le culte orthodoxe la primauté religieuse de la Russie.

Les faits expliquent cet accroissement d’ambition. Tant que l’Islam étendait ses conquêtes ou commençait seulement à les perdre, il assemblait sous son pouvoir, les Russes exceptés, tous les orthodoxes. Il en avait possédé jusqu’à vingt millions ; il en gardait encore quinze millions au début de ce siècle. Ces chrétiens continuaient à reconnaître le patriarcat de Constantinople, seule institution du Ras-Empire qui fût restée debout. La hiérarchie sacerdotale n’avait pas cessé d’appartenir à la race grecque, jadis maîtresse de toutes les autres dans l’Empire, et