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Arrivés au barrage de Clamecy, ils sont happés par des « pêcheurs, » dans l’eau jusqu’à la ceinture, qui les trient suivant leurs marques et les entassent. C’est là que les marchands de la capitale vont faire leurs achats. Le stère, vendu 5 à 6 francs par le maître de la forêt, suivant les facilités de « vidange » de la coupe, monte déjà à 9 francs, soit 20 francs les mille kilos. Le sciage « à deux traits, » effectué en province à raison du bon marché de la main-d’œuvre, est payé 1 fr. 60 ; le transport par bateau jusqu’à Paris, 4 à 5 francs ; enfin les 6 francs d’octroi et le camionnage en magasin, élèvent à 36 francs environ le prix de revient du marchand. Celui-ci, revendant la tonne 44 francs aux particuliers, réaliserait un joli bénéfice, si la durée d’un second séchage, pendant six mois, avant l’embarquement, la conservation en chantiers et le voiturage à domicile ne le grevait de frais généraux assez lourds.

Le client parisien est habitué à des rondins lisses, uniformes et si élégans que c’est dommage, semble-t-il, de les mettre au feu. Le négociant, de son côté, exclut les pièces irrégulières, qui feraient des bosses dans ses pyramides géométriques et en compromettraient la solidité. Si les acheteurs de la capitale acceptaient les quartiers bizarres, noueux, ventrus et un peu contrefaits dont se contentent les êtres inférieurs qui peuplent les départemens, et s’ils se mettaient en rapport direct avec les propriétaires du Centre, ils obtiendraient un rabais de 25 pour 100.

La péniche ou « chênière, » chargée de 150 tonnes de bûches, est confiée à deux mariniers qui reçoivent une somme fixe pour la conduire jusqu’à la Seine par les canaux du Nivernais ou de Briare et du Loing. Ces deux haleurs travaillent treize heures par jour, pour faire environ 20 kilomètres ; ils se relayent aux heures de repas, l’un continuant à traîner le bateau, pendant que l’autre s’occupe de la cuisine. À Moret et Montereau, la chaîne de louage ou un remorqueur servent à convoyer le chargement jusqu’à Paris.

Le prix du bois, dans les villes, se compose donc, en grande partie, de frais de transport ; on imagine ce qu’il devait en être jadis : de belles forêts pourrissaient sur pied il y a cent ans, par l’absence de moyens de communication. Non loin d’Uzerches, le comte d’Harcourt avait de vastes domaines, dont il ne tirait presque rien, faute de rivières à proximité. Si les 1000 kilos de bûches se payaient, au XVIIIe siècle, des sommes très différentes,