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quelque élevés que soient les droits dédouane ; nous sommes forcément tributaires de l’étranger pour les bois de grande largeur. Si nous avons assez de poutres, solives et autres pièces maintenant remplacées par le fer, nous manquons de celles qui ne redoutent pas la concurrence métallurgique : des bois de meubles et de tonneaux.

Nous possédons beaucoup de petits chênes, de modernes ; mais les gros, les beaux anciens font défaut dans une proportion énorme. Les particuliers, à qui appartiennent les deux tiers de la surface forestière, réalisent leurs chênes de bonne heure ; dans le troisième tiers, l’Etat et les communes, malgré des « révolutions » de cent quatre-vingts ans, n’arrivent pas à fournir 200 000 mètres cubes de bois d’une largeur de 50 centimètres, leurs biens étant pour la plupart situés en des régions montagneuses, où les peuplemens ne renferment que des hêtres et des résineux.

La même pénurie existe un peu partout ; dans le monde entier, les futaies s’en vont. Trois pays seulement en Europe ont suffisamment de « bois d’œuvre » : Autriche, Russie, Suède-Norvège. Cette dernière commence à s’épuiser, elle entre dans la voie des petites fabrications. L’Autriche, la Bosnie, la Croatie expédient, par Fiume, Trieste et le bas Danube, des arbres de deux cent cinquante ans que l’absence de moyens de transport avait jusqu’ici maintenus sur pied ; mais, elles aussi, abattent beaucoup plus que leur production annuelle. L’Australie, qui nous envoyait naguère de magnifiques billes d’eucalyptus, et avait un cinquième de son territoire en forêts, les a aujourd’hui totalement détruites. Elle achète ses bois dans la Baltique ou le golfe de Bothnie, par l’intermédiaire des courtiers de Londres. Le Transvaal, le Cap et Natal, tous déboisés, sont aussi des cliens de la Suède.

Et l’on se demande pourquoi il part de Bordeaux des pavés de bois pour la République Argentine, des traverses de chemins de fer pour le Brésil et le Congo, lorsque, à proximité de ces diverses contrées, s’étalent des espaces infinis où croissent, depuis le commencement du monde, des « fûts » inviolés. C’est que la forêt vierge des zones tropicales est une illusion ; au dire des gens du métier, il serait presque inexploitable, cet emmêlement d’humbles plantes et d’arbres géans, étages les uns au-dessus des autres, et mêlant sur le sol humide la pluie de leurs fleurs. Le type idéal, c’est la coupe triste et glacée de Russie ou de Canada, transportée sur la neige dure jusqu’à une rivière qui, au dégel, charrie