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du bois absorbait la moitié ou davantage de la valeur des produits.

C’est que les arbres et les hommes se gênent et s’excluent mutuellement ; quand les seconds pullulent, les premiers s’éclaircissent et tombent. Des générations successives de forêts ont été ainsi détruites sur notre sol : forêts saintes des druides ; forêts légendaires du roman de chevalerie, où les arbres avaient des noms propres ; futaies des barons féodaux, emblèmes de force et de durée, punies comme complices de leur maître, s’il venait à trahir son suzerain : — pendant que sous la hache tombait la tête du gentilhomme félon, les troncs altiers, compagnons de sa race, étaient rasés, « dégradés, » disait la procédure, par la cognée du bourreau ; — forêts royales enfin, dont les sujets hiérarchisés, étiquetés par Colbert, poussaient en lignes et se couvraient de feuillages symétriques comme des perruques à la Louis XIV. Tout cela dépecé, mis à feu, asservi à nos divers caprices.

De nos jours où les chênes, avant d’arriver à maturité, ont le temps de voir le monde changer dix fois de maître et de plan, ce qu’il reste de futaies séculaires ne survit que grâce à la tutelle administrative et comme un vestige artificiellement maintenu du passé. En pays démocratique, les chênes de l’État ont seuls, ou presque seuls, le privilège de vieillir.

Le sol forestier de la France, — neuf millions d’hectares, plus du sixième de notre territoire national, — fournit annuellement 25 millions de mètres cubes de produits ligneux, dont 5 millions seulement de bois de charpente et de menuiserie et 20 millions de bois de chauffage. Ce dernier chiffre est simplement théorique. Le « bois de feu, » comprenant les taillis, les troncs malsains et le branchage, — le houppier — des arbres « de service, » est ramené ici à un cube plein et sans interstice de 20 millions de mètres ; pratiquement, en tenant compte des résultats donnés à l’empilage par les diverses essences, l’administration estime à 33 millions de stères la capacité effective.

Sur ce chapitre du bois de chauffage, la production et la consommation intérieure se balancent. Nous n’en achetons et n’en vendons au dehors que des quantités insignifiantes. En fait de charpente, nous sommes loin de nous suffire : frises d’Odessa, frênes du Caucase, chênes d’Autriche ou d’Amérique, sapins de Suède et Norvège, la sylviculture exotique introduit chaque année 3 à 4 millions de mètres cubes. L’importation continuera,