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feu qui, dans le plus grand nombre des habitations, sert à la fois aux alimens et aux hommes ; la même cheminée, le même fourneau ayant pour objet de chasser le froid et de faire la cuisine.

Double fonction si nécessaire que nos ancêtres faisaient du mot de « feu » le synonyme de ménage, de famille ; le « feu » symbolisait les groupes d’individus unis dans le parcours de la vie ; il servait à compter les êtres, — ceux qui n’avaient « ni feu ni lieu » ne comptant pas. — Et de nos jours, où les chiffres de la statistique ne s’expriment plus par « feux, » mais par « âmes, » le terme de « foyer » a conservé, dans le langage des bureaucrates comme dans celui des poètes, ce sens extensif de logis animé, d’abri durable et affectueux qu’il avait naguère.

Confessons d’ailleurs que, sous la forme métaphorique, sous cette forme où Napoléon l’employa, après son abdication, dans sa lettre fameuse au prince-régent d’Angleterre, lorsqu’il venait, disait-il, « s’asseoir au foyer du peuple britannique, » cette expression est menacée de disparaître avec les anciens types de cheminée et la révolution survenue dans le chauffage. On se figure mal la contenance de locataires parisiens, assis en cercle et sympathiquement pressés devant la bouche d’un calorifère.

Si le « manteau de la cheminée » ne s’était pas étriqué d’âge en âge, si l’on n’avait pas découvert des combustibles nouveaux et inventé de nouveaux appareils pour en tirer meilleur parti, le peuple ne connaîtrait plus le feu que par ouï-dire et les bourgeois continueraient, tout en brûlant beaucoup de bois, à jouir de peu de chaleur. Le temps est loin où l’on prodiguait sans souci, dans l’âtre, des amas de fagots, crépitant en longues échappées d’étoiles, où la cuisine des festins offerts au roi Philippe de Valois par le duc de Bourgogne nettoyait en huit jours 14 hectares de taillis. Seigneurs et abbayes se passaient alors une forêt les uns aux autres pour un loyer de quelques grammes d’argent et, comme l’adjudication annuelle de l’ « herbage de mai » et de la « glandée » d’automne, — c’est-à-dire du droit de faire paître des bestiaux dans les bois et d’y engraisser des porcs, — était souvent le profit le plus clair du propriétaire, il recueillait avec empressement dans son domaine les verreries, poteries, hauts-fourneaux et autres industries qui se présentaient ; heureux de leur céder, pour une redevance minime, le pouvoir d’user à discrétion de ce dont lui-même ne savait que faire. Un phénomène inverse s’est passé de nos jours : bien des fours ont dû s’éteindre, parce que le coût