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obligeans et fort honnêtes, les mêmes qui m’avaient donné, à mon arrivée à Paris, un permis pour moi et un pour chacun de mes gens, sans les voir et seulement sur ma parole, chose qui ne se fait jamais. Le nommé Léger me regarda en riant et me dit : « Vous avez donc eu, madame, quelque affaire avec le ministre de la Police ? — Non, lui dis-je ; mais pourquoi me faites-vous cette question ? — Parce que je viens de recevoir dans l’instant une lettre de lui, par laquelle il m’ordonne de vous signifier de partir vingt-quatre heures plus tôt que vous ne le deviez ; mais ce jour ne compte pas. Ainsi, en partant vendredi à cinq heures du matin, vous pouvez être certaine de n’être pas arrêtée. Au reste, j’ai ordre de vous donner un bon passeport, afin que vous ne soyez pas inquiétée. » Dans le fond, il m’était assez indifférent de partir vingt-quatre heures plus tôt ou plus tard, et j’assurai Léger que je partirais le vendredi, mais que je ne comprenais rien à cet ordre d’après la manière dont Fouché m’avait reçue.

— Eh bien ! reprit Léger, je le comprends ; vous aviez été trop bien reçue pour ne pas obliger à quelque chose d’éclat. Il aura su que votre réception avait fait terriblement parler, et je ne vois dans ceci que de la prudence pour tous deux, vous en partant promptement et lui en disant qu’il vous y a obligée.

Après cette conversation, il me remit mes passeports et je m’en allai bion vite conter tout ce qui venait de se passer à Mme de Richelieu, qui m’attendait chez moi. En apprenant ce qui m’était arrivé, elle eut grande peur que je ne fusse conduite au Temple, et comme j’en recevais quelques avis sous main, je n’étais pas éloignée de le croire. Cela ne m’empêcha pas, cependant, de prendre toutes les lettres qu’on voulut me donner ; je cachai bien les plus intéressantes et je laissai ouvertes quelques-unes des autres. J’allai, pour la première fois, au spectacle ce jour-là ; il y eut même plusieurs personnes arrêtées dans la loge voisine de celle dans laquelle j’étais. Je me suis bien donné de garde de parler à personne de ce que Fouché m’avait fait dire pour mon départ, afin d’être plus tranquille dans les derniers momens que je devais encore passer à Paris. J’en exceptai cependant M. Gaston de Galard et l’abbé de Damas. Je crois bien que j’aurais pu rester à Paris, si je l’eusse désiré, en écrivant à Mme Bonaparte la position où je me trouvais, et que son mari ignorait. Il ne pouvait avoir donné l’ordre qui m’obligeait de sortir de Paris, puisque, de son consentement, Mme Bonaparte m’avait engagée à différer mon départ