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à laquelle je me dévouais. Le lendemain, on me fit dire que Mme Bonaparte m’attendrait à la Malmaison, à onze heures ; je me mis donc en route le lendemain matin de bonne heure avec Mme de Champcenet et cette demoiselle, qui se nomme Mlle Paulin. La sentinelle avait ordre de ne laisser passer que Mme de Guiche ; mais Mme de Champcenet se trouvant dans la même voiture, la sentinelle crut pouvoir la laisser passer aussi. J’arrivai dans une très petite maison, bien meublée, dans laquelle il y avait peu de domestiques, mais un grand nombre d’aides de camp qui venaient me regarder comme une chose curieuse. Mme Bonaparte me reçut avec une politesse mêlée d’attendrissement et de reconnaissance. Elle me fit mettre sur un canapé, ainsi que Mme de Champcenet, et se plaça sur une chaise ; Mlle Paulin se retira pour empêcher les aides de camp d’entrer, et la conversation devint intéressante.

MADAME DE CHAMPCENET. — Je suis enchantée, madame, que vous puissiez entendre de la bouche même de Mme de Guiche, que les Princes savent bien que vous êtes royaliste et que vous ne cherchez qu’à faire le bonheur des malheureux.

MADAME BONAPARTE. — Je suis charmée que les Princes me rendent justice. Je le mérite par mon attachement à la bonne cause ; Bonaparte le sait, et je lui ai dit plus d’une fois que je cesserais de le voir s’il voulait être roi, ne me sentant pas les moyens ni la volonté d’être la femme d’un usurpateur.

MADAME DE GUICHE. — Mais, madame, vous courez grand risque de vous brouiller incessamment : il est vrai, cependant, que les avis sont partagés sur les projets qu’on suppose à Bonaparte.

MADAME BONAPARTE. — Non, madame, ne croyez pas que Bonaparte soit un usurpateur ; il a de l’ambition, mais bien plutôt celle de la gloire que celle de régner.

MADAME DE CHAMPCENET, en souriant. — Savez-vous, madame, qu’il est fort à désirer de lui voir promptement prendre un parti, car, en restant quelque temps de plus dans la même position, sans s’en douter, il aura usurpé la couronne.

Quelqu’un vint nous interrompre, et Mme Bonaparte changea de conversation et me dit assez haut pour être entendue de tout le monde : « Comment se porte Mme de Polastron ? Je l’ai vue à Panthemont ; elle avait une figure bien intéressante et une tournure charmante ; je sais que Mlle de Poulpry est à Vienne, elle y était