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— Je ne me corrigerai jamais de ce que vous regardez comme un tort, et moi comme une qualité. Si je n’avais pas cette façon de penser par principe et si mon cœur ne me le dictait pas, je serais méprisée de tout le monde, de vous-même, si je pouvais en changer, car je dois tout aux Princes et principalement à ceux que nous avons perdus.

Comme pour chercher à changer la conversation, Fouché me dit :

— N’a-t-on pas cherché à vous faire peur de moi ? À quoi je répondis :

— Non, pourquoi en aurais-je peur ?

Il garda quelques instans le silence. J’avais déjà remarqué qu’en me parlant, tantôt plus haut, tantôt plus bas, il avait souvent regardé un secrétaire, qui écrivait au bout de son cabinet. Delà, j’en conclus que la présence de ce secrétaire le gênait et que je ne pourrais plus rien obtenir d’intéressant de sa conversation. En conséquence je me levai ; il parut fâché de me voir partir ; alors je balançai un moment si je resterais, ou si je m’en irais, mais il se leva lui-même et me dit :

— Eh bien ! madame, puisque vous êtes décidée à partir, voici une lettre pour que l’on vous donne votre passeport au bureau central… Il me reconduisit jusqu’au milieu de la pièce qui précédait son cabinet, au grand étonnement de tous ceux qui attendaient, et après une conversation de plus d’un quart d’heure ; le fils de M. le prince de Tingry, qui s’est fait l’ami de Fouché, me donna le bras. Ma visite à Fouché fit beaucoup de bruit dans Paris, on y inventa mille histoires ; j’étais instruite de tous les propos qu’on tenait, et entre autres de l’ombrage que je faisais à plusieurs petits commis, qui disaient assez haut qu’il était inouï que Mme de Guiche fût reçue de cette manière.

J’avais déjà vu plusieurs fois, chez Mme de Champcenet, une demoiselle âgée de quarante ans ; elle est fille d’un ancien valet de chambre de Louis XV, et royaliste comme nous : elle est très liée avec Mme Bonaparte, qu’elle voit sans cesse. Dès la première fois que je vis cette demoiselle, elle me parla beaucoup des Princes et du désir que Mme Bonaparte avait de me voir, et qu’elle en demanderait la permission à son mari, si je consentais à aller chez elle ; je réfléchis un moment, puis j’acceptai, en songeant que le qu’en-dira-t-on devait m’être indifférent, dès l’instant que ce n’était pas mon propre intérêt qui me déterminait à la démarche