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— Mais de ceux que vous voyez le plus habituellement.

— Ah ! je sais, des Français, de M. le comte d’Artois.

— Oui, dit-il, positivement.

— Eh bien ! on croit généralement que, vous êtes le plus grand jacobin qui existe, que vous êtes brutal ; mais, sur ce dernier point, je vous défendrai, car je sais le contraire.

Il devint rouge et embarrassé, et sa femme lui dit :

— Tu vois bien, Maingaud, que tu t’es fait cette réputation-là et que je ne t’ai rien exagéré.

Il reprit la parole et me dit :

— Combien je suis fâché, madame, que M. le comte d’Artois ait cette opinion de moi ! je suis vif, emporté, cela est vrai, mais, pour jacobin, je ne le suis pas ; j’ai même été bien tourmenté par eux, car j’ai passé six mois en prison du temps de Robespierre.

— Mais vous êtes lié avec tous les jacobins, lui dis-je, avec Fouché qui est à leur tête.

— Ah ! voilà comme on exagère ! Ce n’est pas ainsi que pense Fouché : quant à moi, je sers ma patrie et un gouvernement, n’importe lequel : j’aimai l’idée d’une République, mais elle serait difficile à maintenir, je le vois. Quant à un Roi, s’il en faut un, il n’y a pas de doute que le seul à prendre, le seul à désirer, soit Louis XVIII, le roi légitime. Bonaparte veut l’être : cet homme se casse le cou par son ambition.

— Mais vous servez Bonaparte dans ce moment ?

— Moi, je ne le considère pas ainsi qu’il le voudrait ; je ne vois en lui que le Premier Consul. J’ai toujours été employé depuis la Révolution ; on a de la confiance en moi, dans ma fermeté, ma probité, et je les sers bien, comme je servirais les Bourbons.

De là, il me raconta les raisons qui l’avaient fait sortir des gardes du corps, puis, quatre ans après, rentrer dans les gardes d’Artois ; il me parla d’une mercuriale que lui fit M. le comte d’Artois, après un duel qu’il eut à Versailles : il avoua que la bonté du prince lui avait fait impression, mais qu’il avait, dans ce temps, une trop mauvaise tête pour rester dans aucune place ; il faisait sottises sur sottises, était insolent vis-à-vis de ses chefs ; il sortait du royaume toutes les fois qu’il se trouvait assez d’argent pour entreprendre un voyage. Enfin, je me retirai chez moi, le voyant obligé de se mettre à son bureau.

On ne fouilla aucune de mes malles ; on me remit toutes mes lettres. Le lendemain matin, j’eus mon passeport ; mais Mme