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caractère fondamental est d’être une théorie sociale dans le sens le plus étendu de l’expression. Pour elle, le problème philosophique consisterait essentiellement dans la détermination de la destinée, non de l’homme individuel, mais de l’humanité, et à subordonner ou plutôt identifier tous les systèmes, psychologique, métaphysique et religieux, à ce point de vue. Considérant l’humanité comme un individu qui se développe successivement par une série de mutations spirituelles, elle lie le passé, le présent et le futur par une chaîne indissoluble. Tous les grands phénomènes du monde moral ne sont que l’expression, à des momens donnés, de l’état du développement intérieur de la vie de l’humanité. Chacun de ces états est enté sur l’étal précédent. Tous se supposent, en tant que les premiers contiennent les derniers, et que ceux-ci ne sont qu’un accroissement des premiers. Le résultat de ce progrès insensible, mais constant, c’est le développement de plus en plus clair dans la conscience humaine de l’idée de Dieu (religion et philosophie), et d’autre part, la réalisation la plus complète de la destinée sociale. » M. Louis Peisse termine ce résumé par un jugement des plus sévères sur les philosophes de cette école : « Jusqu’ici, dit-il, ces doctrines ont plutôt été portées par l’esprit du siècle que soutenues par leur valeur philosophique ; elles n’ont trouvé pour représentans que des esprits moins originaux que bizarres, et se sont le plus souvent produites sous les formes extra-scientifiques de l’illuminisme et du mysticisme. Littérairement, elles n’ont enfanté que des œuvres sans goût, infectées de néologismes, et dont la fausse originalité est un signe non équivoque d’impuissance. En général, les recherches d’esprit, de raisonnement, et de talent des écrivains de cette école sont loin d’être en rapport avec les proportions gigantesques de leur entreprise. » Peut-être y a-t-il un peu d’excès dans cette appréciation. Pierre Leroux est sans doute un esprit fumeux, confus et mal réglé ; mais il nous semble injuste de lui refuser des idées, de la verve, et une généreuse ardeur. Au reste, M. Louis Peisse ne connaissait pas encore l’œuvre capitale de Pierre Leroux, à savoir le livre De l’Humanité, qui était alors sur le point de paraître et que nous nous proposons d’analyser.


PAUL JANET.